Yzzy est une instagrameuse mondialement connue, à la tête d’une communauté de près de 28 millions d’abonnés. Elle est l’archétype de l’influenceuse numérique : elle n’est ni une actrice, ni une chanteuse, ni une ancienne candidate de télé-réalité. Elle a bâti sa notoriété exclusivement sur Instagram. Le roman commence quand on annonce sa disparition. Elle semble s’être volatilisée sans laisser de traces, alors que son visage est reconnaissable partout dans le monde.
Roman choral, Yzzy a disparu alterne les prises de parole des différents acteurs de cette incroyable énigme. Parmi eux, Tom Goldberg, l’agent d’Yzzy, un personnage un peu curieux très vite désigné comme le principal suspect. Vous pensiez à quelqu’un en particulier en l’imaginant ?
D’une manière générale, les personnages de mes romans sont des agrégats de personnes que j’ai pu rencontrer. Tom Goldberg est la somme de plusieurs personnages, réels ou archétypaux : il y a le jeune homme qui souhaite trouver la voie la plus directe vers la fortune et la célébrité, celui qui pense que le bonheur réside dans le regard des autres, mais également, paradoxalement, celui qui cherche à donner un sens à sa vie et qui, sans doute, pense que ce sens lui sera donné par les autres.
L’inspecteur chargé de l’enquête, Steve O’Maley, travaille à l’ancienne. Il est plongé dans un univers dont il ne maîtrise pas les codes. Comme s’il symbolisait le fossé générationnel qui existe aujourd’hui autour des réseaux sociaux. Ressentez-vous ce gap entre deux mondes ?
C’est à la fois une faiblesse et une force. C’est une faiblesse, car, bien entendu, Steve O’Maley est souvent largué. Les différents témoins qu’il rencontre durant son enquête semblent vivre dans un monde différent, avec sa culture et ses codes. Mais c’est également une force, car son ignorance de ce monde est ce qui lui permet de ne pas être ébloui par les paillettes de la notoriété numérique. Il se fiche qu’un propos soit massivement « liké » par des inconnus. Son enquête est menée dans le monde réel. Dans le roman, Steve O’Maley est une balise qui ancre le lecteur dans la réalité, pas dans les chimères numériques, ni dans les chimères électorales.
Pourquoi avoir choisi de situer votre intrigue à Boston ? Avez-vous des liens particuliers avec les États-Unis ?
Il y a plusieurs raisons qui font que l’intrigue est américaine. Tout d’abord, Yzzy doit être mondialement célèbre et, par leur nature même, les réseaux sociaux tels qu’Instagram ne permettent pas à des personnalités non anglophones d’atteindre une telle notoriété. Ensuite, je voulais que l’enquête soit à la fois affectée par la campagne électorale d’un procureur, ce qui correspond au système américain, mais également par un cirque médiatique à même de mettre sous pression les enquêteurs. Encore une fois, les États-Unis sont le lieu idéal pour de tels travers. Quant au choix d’avoir situé l’intrigue à Boston, cela s’explique par le fait que cette ville est, dans sa nature même, extrêmement européenne. L’histoire aurait été différente si je l’avais située en Californie ou en Floride, par exemple. De manière plus personnelle, j’ai grandi, comme beaucoup de gens de ma génération, en étant nourri par la pop culture américaine et par les médias américains. Ce sont des codes que je comprends et, dans le même temps, dont je comprends les travers.
L’identité numérique et les « relations parasociales » sont des thèmes qui traversent votre roman. Vous faites intervenir d’ailleurs, à plusieurs reprises, un conférencier sur le sujet. Qu’entendez-vous par « relations parasociales » ?
Les relations parasociales sont un domaine de la sociologie qui décrit la nature des relations entre une personnalité publique, ou de fiction, et son public. Si, à l’origine, ce terme évoquait principalement le rapport du public à une rockstar, un acteur ou un politicien, il définit aujourd’hui plus précisément le lien qui existe entre un influenceur et sa communauté. Le modèle parasocial résulte des travaux de Donald Horton et Richard Wohl, dont les noms composent celui du conférencier, fictif, du livre, Ronald Worthon. Le modèle montre très précisément – et cela depuis 1956 – comment une telle relation, unilatérale, fondée sur le « sentiment d’intimité », est vouée à l’échec.
En écrivant ce thriller, aviez-vous le souhait à la fois de divertir et de donner à comprendre, vous qui animez sur YouTube, avec succès et depuis des années, une chaîne de vulgarisation scientifique ? D’ailleurs racontez-nous un peu votre parcours.
Comme pour mes romans précédents, j’ai tenté de préciser de quelle façon la notion d’identité évolue avec les nouvelles technologies et, en particulier, avec les réseaux sociaux. Très clairement, au-delà de l’intrigue policière, et de l’enquête visant à résoudre cette énigme, j’ai cherché à montrer de quelle façon notre usage des réseaux sociaux altérait ce qui constitue notre propre identité. De ce point de vue, je pense qu’on peut considérer ce roman comme une fable. Concernant mon parcours, j’ai commencé par être informaticien, avant même l’arrivée d’Internet. J’ai vécu la révolution numérique de ces dernières décennies en étant presque toujours au premier rang. Avoir connu le monde sans Internet et y être si directement lié, par ma chaîne YouTube notamment, me permet, je pense, de développer un point de vue singulier. Le point de vue d’un acteur mais aussi d’un observateur lucide qui essaie de garder une distance critique. J’ai connu l’explosion des réseaux sociaux, j’ai vécu le cyberharcèlement, la notoriété du web, sans jamais perdre de vue le fonctionnement technique qui régit ce monde virtuel.
Que représente pour vous la littérature, comme lecteur et auteur, face à la déferlante des contenus numériques et audiovisuels ?
Plus jeune, on ne m’a pas incité à lire, notamment les grands auteurs classiques. J’ai longtemps eu un rapport distant à la littérature, tandis que je développais sans interruption une culture télévisuelle et cinématographique. La littérature représente encore aujourd’hui pour moi un moyen d’expression permettant de véhiculer de façon explicite des émotions et des sensations intimes, ce qu’un film aura toujours du mal à faire. Dans le même temps, en tant qu’auteur, la littérature est le seul moyen de raconter les histoires qu’on souhaite raconter sans aucune contrainte de moyens : si je veux qu’une scène fasse intervenir des milliers de personnages, il me suffit de l’écrire. Je n’ai pas à me préoccuper de la logistique inhérente au fait de faire intervenir des milliers de figurants. Sans même parler de budget… Les contenus numériques occupent une part croissante de notre « temps de cerveau disponible » et, par conséquent, ont tendance à réduire notre appétit de livres. Mais je crois que ce foisonnement banalise davantage les films et les séries. Un nouveau livre reste un événement, quel qu’en soit l’auteur. Paradoxalement, cette explosion de contenus numériques va rappeler aux gens le caractère précieux de la publication d’un livre. Bien sûr, il faudra rester méfiant vis-à-vis des outils dits d’« intelligence artificielle » qui n’ont d’« intelligent » que le nom qu’on veut bien leur donner. Ce sont des outils puissants qui vont nous simplifier énormément de tâches, au même titre qu’un traitement de texte est capable de corriger nos fautes de frappe, mais qui ne seront jamais capables d’écrire Du côté de chez Swann ou Les Misérables. Aucun outil ne sera jamais capable de cela.
Si on jette un coup d’œil à votre bibliothèque, que trouve-t-on ?
Ma bibliothèque n’est pas impressionnante et ne pourrait pas servir de décor à une émission littéraire. Il n’y a pas, chez moi, de murs entiers aux étagères remplies de livres de tous formats et de toutes les couleurs. Si on jette un coup d’œil à ma bibliothèque, on trouvera des éditions de poche, bilingues, de nombreuses pièces de Shakespeare. On trouvera également une bonne partie des œuvres d’Arthur C. Clarke, quelques polars signés Stephen King, Bernard Minier ou Maxime Chattam. On trouvera, il me semble, l’intégrale des livres de Chuck Palahniuk ainsi que trois éditions différentes de La Maison des feuilles, de Mark Z. Danielewski.
Avez-vous le projet d’un nouveau roman ?
Bien sûr ! J’ai de nombreuses histoires prêtes à être racontées. Je sais que j’ai envie de parler de fatalité, peut-être en m’appuyant sur le voyage dans le temps. J’ai également envie de construire le crime parfait. Ce qui est sûr, c’est que mes prochains romans parleront, comme les précédents, d’identité. De qui l’on est… à quel point on peut transformer qui l’on est… Ils s’appuieront, une fois encore, sur un monde réel connecté et sur des technologies existantes ou à venir. Je continuerai de voir des personnages regretter ou non de voir leurs vœux exaucés. Tout comme je continuerai de trouver, dans chacun de ces personnages, une note d’espoir, une direction, quelque chose qui donnera un sens à leur vie et qui – on y revient – leur permettra de comprendre leur propre identité.