Interview de l’auteur
Dans ce nouveau thriller contemporain, vous dénoncez les dérives de l’intelligence artificielle. En quoi ce sujet d’actualité brûlant vous a-t-il inspiré ?
Depuis que le terme « intelligence artificielle » s’est imposé, il ne m’a pas seulement intrigué, mais inquiété. Au vu des progrès technologiques qui, à présent, envahissent et conditionnent notre vie quotidienne, j’ai compris que le mot important était « artificiel », incompatible avec l’intelligence vraie, que les anciens Égyptiens définissaient comme la perception intuitive du cœur-conscience, d’une nature radicalement différente des algorithmes. Cette intelligence artificielle nous est vendue comme la clé de toutes les facilités et de tous les bonheurs, même s’il nous faut renoncer à de nombreuses libertés.
La mutation informatique, au sens large, est la plus importante révolution qu’ait connue l’humanité. Elle est planétaire, bouleverse l’économie et la société, englobe toutes les idéologies et façonne un gouvernement mondial qui fonctionne de lui-même, sans que personne – ou presque – ne s’en offusque. Ce n’est ni un simple progrès, ni une évolution, mais une transformation radicale, et sans doute définitive, qui fait naître devant nos yeux un monde artificiel et virtuel, peuplé d’individus conditionnés qui, de gré ou de force, devront, eux aussi, devenir artificiels.
Il n’existe pas, aujourd’hui, de sujet plus important et plus occulté. Pourtant, tous les humains sont concernés. Et je n’ai que ma plume pour contribuer à la lutte contre cette implacable Machine que les humains ont façonnée et qui les réduira à l’état d’esclave.
Vous opposez à ces dérives technologiques, et au pouvoir de ce que vous appelez la Machine, les sagesses ancestrales. Pensez-vous que l’homme saura s’y raccrocher ou estimez-vous, au contraire, que le pire est à venir ?
Nous n’en sommes qu’au début du règne de la Machine et le pire, déjà visible et annoncé, souvent avec optimisme, est à venir. Le temps s’accélère, le progrès ne connaît pas de limite. À mon sens, le point de non-retour a été franchi. Des investissements colossaux sont mis au service des nouvelles technologies qui produisent des profits plus colossaux encore. Ils visent au bonheur de l’humanité, inépuisable réservoir de consommateurs. Et qui voudrait résister à cette évolution inéluctable serait considéré comme un dangereux réactionnaire. Pensée numérique, société numérique, économie numérique : chacun dépendra d’une machine qui lui dictera son comportement, qu’il le veuille ou non, qu’il s’en aperçoive ou non.
Le terme de « sagesse ancestrale », qui me paraît essentiel, est, selon l’expression à la mode, inaudible, ringardisé, voire suspect. « Sagesse », un terme poussiéreux et inutile ; « ancestral », un regard vers un passé révolu. Comme si nous n’avions plus d’ancêtres, plus d’héritage…
En quoi d’ailleurs la sagesse égyptienne vous paraît-elle une réponse aux dérives du progrès technologique ?
Étudiant la pensée égyptienne depuis plus d’un demi-siècle, je n’en perçois encore que quelques éléments fondamentaux, tant elle est riche et multiple. Mais pour ne ressortir qu’un point-clé, j’insisterai sur le concept de Maât, « Vérité, justesse, justice, harmonie cosmique, règle de vie, rectitude, équilibre », toutes ces notions étant indissociables.
Maât est la cohérence vitale. Tout individu a le devoir de dire et de faire Maât, et de s’intégrer ainsi au « Grand temple », signification du mot pharaon, qui accueille et réunit tous les êtres fidèles à Maât. Pendant trois millénaires, malgré crises et invasions, l’Égypte pharaonique a maintenu l’orientation sociale et individuelle que procure Maât. Elle nous fait aujourd’hui défaut, dans des sociétés fracturées par des doctrines, qu’elles soient religieuses ou technologiques, ou les deux associées.
Au cœur de ce thriller haletant, on retrouve Bruce, le héros de votre précédent roman, Sphinx, dans une véritable course contre la montre. Quels combats doit mener ce journaliste écossais haut en couleurs et redoutable enquêteur ? Contre qui ?
Le fils de Bruce, un jeune voyant, est persuadé que tout n’est pas fichu, car il est le dépositaire de l’héritage des Supérieurs inconnus, une ONG d’alchimistes bienfaisants, anéantis par la Machine, qui les jugeait capables de s’opposer à la pensée dominante. Ils sont les porteurs de cette sagesse égyptienne que j’évoquais plus haut. Face au grand Sphinx de Guizeh, le gamin a une vision : il reste un survivant, un dernier Supérieur inconnu qui a échappé au massacre et pourrait lui donner la clé des trésors recueillis.
Urgence absolue : retrouver le rescapé. L’Écriture n’affirme-t-elle pas que, si un seul juste survit, l’humanité sera sauvée ?
Associé à son ami Mark et à sa sublime compagne cambodgienne, fils et fille de Supérieurs inconnus assassinés, Bruce se lance sur la piste du dernier des justes, John Patmos, qui vivait paisiblement près d’un temple égyptien méconnu, avant l’intervention d’un commando djihadiste chargé de l’éliminer.
Car Bruce n’est pas le seul à vouloir retrouver Patmos. Après l’avoir identifié, la Machine ne saurait le laisser survivre. Et la traque s’organise : Égypte, Inde, Sri Lanka, Sibérie…
Seul et sans espoir, Patmos a décidé de combattre la Machine. Et ses pouvoirs ne sont peut-être pas si minces.
Qui de Bruce, ou du tueur mandaté par la Machine, retrouvera le premier le dernier Supérieur inconnu ?
Imaginez-vous déjà une suite à Urgence absolue, dans une sorte de trilogie où continueraient de s’affronter, à travers vos personnages, deux visions du monde ?
Bruce venant de recevoir une information explosive, liée à l’avenir de la planète, il se sent obligé, par conscience professionnelle, de la vérifier.
Son enquête lui prouvera qu’un nouveau type de danger se dissimule sous une réalité connue de tous. Vu l’ampleur du péril et de l’adversaire, mieux vaudrait l’oublier et se tenir soigneusement à l’écart.
Mais Bruce étant Bruce, drogué à la vérité, il fera exactement le contraire. Et ce prochain roman s’intitulera Alerte rouge.
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la presse en parle
“L’efficacité du récit […] est dopée par une émotion peu coutumière dans ce répertoire.”
Cécile Lecoultre, La Tribune de Genève