Peut-être parce que la société nous incite à nous conformer à certains rôles ou schémas. La tentation est grande, si l’on ne rentre pas dans les cases, de masquer des aspects de son existence à une partie de son entourage. C’est le point de départ d’Une nuit sans aube, avec Catherine qui reçoit en pleine nuit l’appel d’un inconnu qui semble en savoir plus qu’elle sur la vie de son fils. Tout au long des chapitres, j’ai voulu condenser en quelques heures, à la fois sombres et lumineuses, la découverte de cette existence que lui a dissimulée Alexis. Pourquoi la vérité a été occultée, comment elle éclate au grand jour. Subitement et sans violence. Avec une tristesse un peu douce.
C’est un roman à la construction très originale, qui croise différents genres…
Je voulais une construction à la fois simple mais profonde, et surtout que l’on ne s’éparpille pas avec trop de personnages. Pour dérouler le fil de cette vie dissimulée, j’ai donc construit le roman avec trois narrations correspondant à trois points de vue qui se succèdent à tour de rôle. Catherine, réveillée en pleine nuit, embarque avec Marc à New York pour accourir au chevet de son fils Alexis, mystérieusement percuté par une voiture sur un pont dans les Catskills. Ce récit ne dure que quelques heures. La vie de Marc, en revanche, s’étire sur plus d’une trentaine d’années, entre son enfance sous le soleil de Corse et sa vie de célibataire en perte de repères à Manhattan. Enfin, on voit Alexis grandir, tomber, se relever, tomber à nouveau, quitter Nantes pour Paris puis subitement Paris pour New York. Et de même qu’il y a trois personnages principaux, le récit évolue entre intrigue, histoire d’amour et peinture de notre époque.
Vous dites aussi que c’est un récit d’espérance. Pourquoi ?
Même s’il traite de la difficulté d’être soi et d’aimer sincèrement dans nos sociétés contemporaines, c’est un roman délibérément optimiste, avec des pages baignées de soleil et de Méditerranée. C’est aussi un roman universel, qui s’adresse à tous, quelle que soit l’identité sexuelle. C’est la rencontre de trois personnes qui se découvrent à mesure que le lecteur les découvre aussi. Un roman d’aujourd’hui, entre Paris et New York, entre passion amoureuse et liens familiaux, entre pression sociale et recherche de sens, entre le besoin de se perdre et celui de se trouver.
Vous souhaitiez témoigner des déviances de nos sociétés modernes ?
Disons même que l’histoire était un prétexte pour aborder ces sujets mais, comme souvent, l’histoire a peut-être dépassé le sujet. J’ai en tout cas voulu humblement souligner ce que j’observe autour de moi, à Paris ou à New York : la déshumanisation des rencontres sur les réseaux sociaux et ce que cela entraîne (dating, ghosting, trust issues), le tourbillon illusoire de la vie de salarié dans une grande entreprise. Enfin, presque comme une conclusion inévitable, la médicalisation des émotions et la tyrannie du bonheur. Sur de nombreux sujets, j’ai tenté d’apporter un éclairage européen et américain, ces différences culturelles étant un autre thème du livre. Une nuit sans aube articule vraiment tous ces marqueurs d’une génération toute-puissante mais en quête de sens. Par ailleurs, j’ai tenté de détailler de nombreux sujets sensibles pour les gays: homoparentalité, coming out, abus sexuels et plans d’un soir… lorsque les solitudes se rencontrent, lorsque le désir flirte avec le désespoir…
Peut-on dire qu’il y a beaucoup de vous dans ce roman ?
Oui, bien sûr, et comme souvent, j’imagine, dans les premiers romans. Je fréquente des gens similaires aux personnages du livre, je connais les lieux qui sont décrits, j’ai arpenté ces rues et nagé dans ces criques. De plus, je suis né à Toronto et suis arrivé en France peu avant mes dix ans. Ni tout à fait à l’aise dans la culture européenne, ni tout à fait à l’aise dans la culture américaine, ou alors à l’aise dans les deux selon les jours, j’ai en tout cas la chance de pouvoir les vivre et les observer avec une forme de recul. Il y a
quelques années, je suis parti à New York rejoindre une des plus grandes entreprises de cosmétique du monde. Dans le travail ou la vie personnelle, j’y ai découvert cette course en avant perpétuelle des habitants. Comme à Paris, les trentenaires et les quadras cherchent à tout faire, tout optimiser, mais, au fond, ils sont à la recherche de sens, de quelque chose qui les dépasse, «bigger than life». La vague actuelle de démissions des jeunes cadres aux États-Unis témoigne de ce malaise. Et plus encore chez les gays qui, faute de projets familiaux, restent souvent bloqués dans une forme d’adolescence perpétuelle. Sur le bas-côté des grands sujets de la vie, au seuil de leur existence.
Quand j’ai quitté brutalement les États-Unis à la suite du Covid et que je me suis réfugié chez mes parents, dans cette chambre par les fenêtres de laquelle je distinguais des arbres et non plus les gratte-ciel de Manhanttan, j’ai voulu raconter tout ce que j’avais vu, tout ce que j’avais vécu. C’est ce livre.
Comment vous est venu le goût de l’écriture ?
J’ai toujours beaucoup lu et, pour autant que je m’en souvienne, j’ai toujours écrit, d’abord pour moi, puis parfois pour mes amis. Plus que par plaisir, c’est pour moi une façon indispensable d’appréhender l’existence. J’ai besoin de consigner le réel. C’est un peu absurde mais je ne me sens jamais aussi vivant, aussi moi, que lorsque que j’écris. Et, finalement, que ce soit pour mes parfums ou mes histoires, je travaille de façon similaire. Je pars d’un vécu, une trame réelle, un senti ou un ressenti. « De ce qui ne revient plus, c’est le parfum qui me revient », disait Marie-Laure de Noailles. Retranscrits avec des mots ou avec des notes, ce sont mes souvenirs que je retravaille, modifie et extrapole dans l’espoir qu’ils soient lus. À mon sens, on ne conçoit jamais de parfum, on dévoile ses souvenirs. On ne raconte jamais vraiment d’histoire, on se raconte.
Qu’aimeriez-vous qu’on dise de votre livre ?
Je voudrais qu’il plaise aux lecteurs, bien sûr. Mais je serais particulièrement flatté s’il les avait touchés, voire aidés, voire encouragés. Son message est que la vie n’est jamais simple, pour personne, mais que l’amour, qu’elle qu’en soit la forme, nous sauve. Ce que dit d’ailleurs le grand-père à la fin de sa vie à son petit-fils Alexis qui débute la sienne. «Ce que l’on retiendra de toi est l’amour donné et l’amour reçu. Le reste, à la fin, n’a pas d’importance. »
Ce roman, je l’ai écrit, laissé, et repris plusieurs fois. Je le voulais simple mais profond, poétique mais actuel. Comme mes parfums, je voulais qu’il puisse toucher un grand nombre de personnes, homos comme hétéros, qu’il résonne pour eux. Beaucoup de ceux qui ont lu ce récit m’ont dit que c’était un livre plaisant à lire mais dont on ne ressortait pas indemne, un livre utile. Je n’aurais bien sûr pas la prétention d’aller jusque-là mais je pense, sincèrement, que c’est un livre juste.
Avez-vous déjà l’idée d’un deuxième roman ?
Bien sûr ! Ce sera un mélange des genres assez similaire mais abordant un sujet tout à fait différent. Je suis déjà au travail !