Interview de l’auteur
C’est un roman aussi surprenant que fascinant que vous nous proposez avec Sphinx. Un thriller contemporain mais aussi une dénonciation puissante de la folie des hommes qui, en créant des machines dites intelligentes, prennent le risque de perdre le contrôle de leur destin. Avez-vous voulu, avec ce livre, dénoncer les dérives d’une logique de progrès technologique poussée à l’extrême ?
Ce livre est d’abord né d’une question : qui dirige vraiment notre monde ?
Comme le constate l’un de mes personnages, « sur l’estrade, il y a les comédiens qui nous gouvernent ; moi, ceux qui m’intéressent, ce sont les metteurs en scène et l’auteur de la pièce ».
Nous sommes aujourd’hui des milliards de fourmis qui se croient pensantes, alors qu’on pense pour elles ; qui tire les fils des marionnettes ?
Deux réponses m’ont éclairé : la première de Machiavel, la seconde de Steven Spielberg.
Machiavel, dans Le Prince, chapitre XVIII, formule le principe appliqué par tout politicien moderne : « Un prince, surtout un nouveau prince, doit agir contre sa parole, contre la charité, contre l’humanité, contre les croyances. À lui de s’adapter selon l’air du temps et de pratiquer le Mal en cas de nécessité. » Et le nouveau prince actuel, celui qui dirige la planète, Steven Spielberg l’a identifié en décrivant notre avenir, déjà bien présent : « Je suis convaincu que dans mille ans, notre monde sera dominé par des machines massivement intelligentes. Cette révolution sera rendue possible par la progression époustouflante des performances électroniques, qui permettront de loger un grand volume de mémoire dans un cerveau artificiel. Je pense même que les machines et les hommes ne feront plus qu’un. Nous serons une symbiose organique parfaite. Nous aurons également des mémoires implantables et nous téléchargerons dans notre cortex des modules de connaissance. »
Cet avenir si présent, ne serait-ce pas un enfer que nous acceptons pour le confort qu’il nous procure ? Qui pense autrement n’aura plus sa place dans le paysage formaté par la Machine. Et toute vision non conforme sera considérée comme un délit. Sphinx est le roman des derniers résistants.
Parmi les nombreux personnages que vous mettez en scène, il y a Bruce, un écossais haut en couleur et particulièrement pittoresque…
Bruce est un journaliste d’investigation politiquement incorrect. Il est le spécialiste des mots de travers et des pensées non conformes. Mais il a aussi une drogue, très mal vue : la vérité. Il a épousé une Cambodgienne, dont la famille a été massacrée par les Khmers rouges. Ils résident en Islande, le plus loin possible de la foule.
Quand Bruce, ex-deuxième ligne de rugby, se lance sur une piste et creuse un dossier, rien ne peut l’arrêter. Mais s’il s’autorise toutes les audaces, c’est grâce à son seul ami, Mark, propriétaire du newsmagazine dans lequel il écrit. Et cette fois-ci, Bruce tient le scoop de sa vie. Parmi les clubs très fermés des décideurs qui dirigent vraiment notre monde, il en a repéré un particulièrement secret : Sphinx. Sous ce nom de code se dissimule une très antique confrérie de neuf membres, issue du temps lointain des pyramides égyptiennes. Répartis sur la surface du globe, les Neuf sont des héritiers de la science de l’alchimie qui a traversé les âges. De redoutables manipulateurs ? Au contraire, d’ultimes contestataires de la pensée technologique dominante.
Quand Bruce découvre l’existence de Sphinx, il est déjà tombé dans un piège d’où il ne devrait pas ressortir. À moins que Mark ne renverse des montagnes pour lui épargner une mort atroce…
Auteur de grandes sagas sur l’Égypte ancienne, vous êtes également connu pour vos polars et les fameuses Enquêtes de l’inspecteur Higgins. Quel plaisir avez-vous trouvé dans l’écriture de ce thriller ?
Les deux mondes, en réalité, ne sont pas si éloignés. Je crois que le premier thriller – qui fut aussi le premier roman – a été écrit par un scribe égyptien vivant au Moyen Empire, vers 2000 avant J.-C. Il raconte l’histoire d’un dignitaire qui, apprenant un secret d’État qu’il n’aurait pas dû connaître, se voit obligé de quitter l’Égypte, de changer d’identité, de se battre contre un géant (le modèle de David et Goliath) et connaît l’errance avant de pouvoir, innocenté, retourner dans sa patrie. Ce texte fut enseigné dans toutes les écoles et il sert toujours de texte de base pour former les apprentis égyptologues à la lecture des hiéroglyphes.
Autrement dit, le thriller est un genre primordial et universel !
Encore faut-il une histoire forte, et un souffle qui emporte l’auteur comme le lecteur.
Le spécialiste des civilisations anciennes et l’égyptologue que vous êtes redouterait-il le pire pour l’avenir de l’humanité ?
Expert en époque effroyable, Winston Churchill a formulé une pensée fondamentale : « Plus vous saurez regarder loin dans le passé, plus vous verrez loin dans le futur. » L’Égypte ancienne était une civilisation cohérente, où spiritualité, gouvernance, société, économie étaient liées, avec une exigence d’harmonie. Aujourd’hui, nous subissons l’uniformisation de la planète, sous le règne d’une divinité impitoyable et non contestée : la technologie. C’est Larry Page, cofondateur de Google, qui le dit : « Le cerveau humain est un ordinateur obsolète qui a besoin d’un processeur plus rapide et d’une mémoire plus étendue. » Et Marc Dugain et Christophe Labbé, eux, l’assurent : « Le pire est désormais certain, la révolution informatique est en marche. » En réalité, « notre » monde ne nous appartient plus. Nous avons cédé les clés à la Machine. Et l’on peut partager l’opinion d’Albert Einstein : « Deux choses sont infinies : l’univers et la bêtise humaine. Mais pour l’univers, je ne suis pas encore complètement sûr. »
Une note d’espoir ? Oui, parce que, comme le disait Guillaume Ier d’Orange-Nassau, il n’est pas besoin d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer. Et aussi parce que j’aime tellement les personnages de ce roman que leurs aventures ne sont peut-être pas terminées…
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la presse en parle
“Christian Jacq égale les fabricants de thriller et d’action les plus patentés. […] Le suspense, conduit à tombeau ouvert, est assez pyramidal…”
Pierre Vavasseur, Le Parisien