Marie Jansen est une femme d’une trentaine d’années. Elle travaille pour Europol, l’agence européenne de police criminelle. Avec son équipe, ils enquêtent sur Miroslav Horvat, un magnat serbe, soupçonné d’extorsion et corruption. Après un an d’investigations, ils s’apprêtent à interpeller le milliardaire. Mais au début du roman, Horvat est retrouvé mort sur la terrasse de son appartement, à Londres. Poignardé, égorgé. À ses côtés, une inscription en lettres de sang : Chè la mia ferita sia murtale. Marie est la seule à comprendre ces mots. Et leur signifi cation : Que ma blessure soit mortelle. C’est du corse. L’île où elle est née et qu’elle a quittée à ses 18 ans. Commence alors, pour Marie, une traque à travers l’Europe, sur les traces d’un tueur insaisissable. Un chemin qui la mènera jusqu’à son île…
Et pourtant ce n’est pas vraiment une enquêtrice de terrain…
Non, son rôle, à Europol, est plutôt de coordonner l’action entre les différentes polices locales. C’est un personnage très complexe. Elle agit comme une observatrice, en retrait. Mais, face aux événements, elle va être obligée de se jeter dans l’action, malgré elle. Et courir tous les risques. Plus largement, Marie s’est créé l’illusion d’une vie parfaite. Un petit cocon qui la protège. Un mari aimant, une petite fille, Romy, une belle maison à La Haye, un travail dans l’un des lieux les plus sécurisés au monde. Elle a tout fait pour dresser un maximum de barrières entre elle et son passé. Mais elle va devoir se confronter à ses démons. Car, on le verra dans le roman, Marie cache une terrible blessure…
Poursuivons avec vos personnages, Ange et Théo, les frères de sang des Roches rouges, ce clan qui a inspiré le titre de votre livre. Deux bandits confrontés à leur propre conception du bien et du mal…
Oui, Ange et Théo sont au coeur du roman. Ça fait des années que je pense à ces personnages, que je les laisse grandir en moi. J’ai toujours
eu envie de raconter une histoire de fratrie, de famille tragique. Ange, l’aîné, et Théo, le cadet, sont deux frères qui s’aiment autant qu’ils se déchirent. Ange est un type taiseux, sombre, il a fui la Corse trois ans avant le début des événements, mais il va être forcé de revenir sur ses terres pour aider son jeune frère. Théo, au contraire, est plutôt grande gueule, il est solaire, vit au jour le jour, prend la vie comme elle vient. Leur point commun, c’est qu’ils ont tous deux grandi dans l’ombre d’un père terrible, Orso Biasini, ancien parrain du clan du Mistral, tout-puissant dans la moitié nord de l’île.
Avec le même traitement ?
Pas vraiment… Leur père est devenu de plus en plus agressif et paranoïaque. Chacun s’est construit en résonance avec cette personnalité terrible, cet ogre. Ange, pensant protéger son cadet, est devenu un soldat du Mistral, accompagnant son père dans une folle spirale de violence. Théo, lui, a toujours eu l’impression d’être laissé sur la touche. De n’être jamais considéré par ce père qu’il aimait malgré tout. Roches de Sang, en réalité, c’est l’histoire d’une rédemption impossible. Comme le dira Barto, leur oncle : « Ça fait tellement longtemps que notre famille fait couler le sang… que l’on a fi ni par croire que nos mains seraient à jamais tachées de rouge. » Au cours du roman, les deux frères vont être obligés de faire des choix qui changeront radicalement leurs vies.
Quel lien vous unit à la Corse, son histoire, sa géographie, sa culture ?
La Corse est ma patrie de cœur. Ma famille a une histoire très forte avec l’île. Début 1900, pour leur lune de miel, mes arrière-grands-parents sont partis faire le tour de Corse à pied, avec un simple mulet. Ils ont grimpé quelques-uns de ses sommets, notamment le Monte Cinto, dormi dans des bergeries. Plus tard, pendant la Seconde Guerre mondiale, mon grand-père, qui était médecin auprès des goumiers marocains, a participé à la libération de la Corse et pris part à la bataille du col de Teghime, qui a été terrible. Enfin, avec mes parents, j’ai passé toutes mes vacances en Corse. Nous avions un bateau et, chaque été, nous faisions le tour de l’île. C’est difficile à dire, mais, là-bas, je me sens «entier». L’idée des Roches de Sang m’est venue justement en bateau, un soir, dans la baie de Porto. Je rêvais d’un western crépusculaire, d’un livre fort et tragique. En septembre dernier, je suis parti marcher une semaine sur les traces de mes personnages: le sentier Tra Mare e Monti, depuis Corte jusqu’à Porto. Je voulais ressentir la fatigue, entendre la rivière couler au loin… Roches de Sang est certainement, à ce jour, mon roman le plus personnel.
Avant d’écrire, il y a le temps de l’enquête. Comment avez-vous procédé pour appréhender le grand banditisme en Corse et les mafias de l’Est ?
Mon passé de journaliste me pousse à dévorer énormément de livres, de documentaires. Pour m’immerger dans le monde du grand banditisme corse, j’ai lu les ouvrages, remarquables, de Jacques Follorou, un spécialiste du sujet. Mais aussi le témoignage de Claude Chossat, «repenti » du gang de La Brise de mer, qui offre une plongée stupéfiante à l’intérieur de ce monde très secret. J’ai pu également discuter avec Éric Arella, grand nom de la police judiciaire qui a longtemps supervisé les actions policières dans le Sud de la France et en Corse. Son expertise m’a aidé à mieux cerner le tissu criminel de l’île et comprendre comment le grand banditisme avait pu autant se développer dans les années 80, 90 sur l’île. Enfin, j’ai pu échanger avec Dominique Bianconi, membre de l’association Maffia Nò a Vita Iè. Un collectif qui se bat depuis 2019 pour mettre fin à la loi du silence en Corse. Une fois toutes ces informations digérées, j’ai pu donner naissance au clan du Mistral. Et penser l’histoire de la famille Biasini sur plusieurs générations.
Votre intrigue nous mène aux quatre coins de l’Europe, dans une écriture particulièrement haletante et visuelle. Quels sont vos auteurs de référence en la matière ?
Écrire un thriller, c’est toujours chercher à entraîner les lectrices et les lecteurs dans une expérience qui rend difficile la moindre pause. Comme dans une composition musicale, il faut des montées en puissance, des accalmies, des changements de rythme. Sur le travail de mécanique, j’ai toujours été très impressionné par les romans de Bernard Minier, de Franck Thilliez, de Jean-Christophe Grangé. Et puis il y a tous ces écrivains anglo-saxons passés maîtres dans l’art de faire vivre des personnages forts, complexes, pour lesquels on ressentira une forte empathie: James Ellroy, Edward Bunker, Dennis Lehane. Leurs héros sont toujours sur le fil du rasoir. Mais je ne lis pas que des thrillers, j’essaye de me nourrir d’autres littératures. Récemment, j’ai été très marqué par Les Enfants sont rois de Delphine de Vigan, Minuit dans la ville des songes de René Frégni ou Le Mage du Kremlin de Giuliano da Empoli.
Un mot sur Paul Green, votre journaliste américain si attachant que vous avez laissé au repos. Que devient-il ? Le retrouvera-t-on un jour dans un nouveau roman?
Paul Green est en vacances bien méritées ! Je l’imagine, sur le perron de sa cabane, au coeur de la forêt de Redwood, à écouter ses vieux vinyles des années 70… Mais on peut le retrouver en librairie avec la sortie en poche, chez Pocket, de sa dernière enquête, Méfiez-vous des anges. Je ne sais pas encore s’il reviendra. Peut-être… mais pas dans l’immédiat. L’écriture de Roches de Sang m’a donné envie d’explorer de nouveaux territoires. Mon prochain roman sera une histoire indépendante, qui se déroulera en France. Un thriller que j’espère surprenant. Une immersion tendue dans un milieu assez méconnu.