Pouvez-vous nous présenter ces deux familles ?
Les familles Kessler et Mariani sont très similaires. Une maison, des enfants, des emplois plus ou moins accaparants… Voilà la partie émergée de l’iceberg, qui cache beaucoup de non-dits et de petits secrets. Chacun a quelque chose qui lui occupe l’esprit, chacun est pris dans ses propres soucis, ses propres désirs, et en oublie de regarder autour de lui. Deux familles tout ce qu’il y a de plus ordinaire, en réalité… Jusqu’à ce que la catastrophe arrive.
La famille et le couple sont des sujets qui vous sont chers. On a l’impression en vous lisant que plus on vit proche des gens, moins on les regarde…
Je ne sais pas si plus on est proches des autres, moins on fait attention à eux… L’idée du roman (et pas sa « morale », car il n’y a justement, à dessein, aucune « morale » à tirer de l’histoire que j’ai écrite), ce n’est pas de dire que les parents ne font pas suffisamment attention à leurs enfants, pas du tout. Certes, les parents Kessler et Mariani sont pris par d’autres choses, comme n’importe quels êtres humains, mais ils n’en sont pas moins aimants ou attentifs… De l’autre côté, il y a des enfants qui se taisent, qui se murent dans le silence, qui ne veulent pas déranger, pas trahir, pas se montrer faibles… Ma conviction profonde, enracinée depuis toujours, est surtout qu’on ne connaît jamais vraiment personne, et encore moins les personnes qui partagent notre vie et en qui on a pourtant entièrement confiance. On croit connaître tout de l’autre, on croit qu’il n’a plus aucun secret pour nous, on croit pouvoir prévoir et anticiper ses réactions, connaître ses aspirations, ses envies, ses peurs… Mais il n’en est rien. L’Autre est toujours, quoi qu’on fasse, un étranger. Il reste toujours une part d’ombre, de mystère, d’inconnu…
Comment parvenez-vous à cette justesse chez tous vos personnages ?
Je passe plusieurs mois à non seulement élaborer l’intrigue de mes romans, mais aussi et surtout à apprendre à connaître mes personnages. À créer, inventer, leurs failles, leurs traits de caractère, leurs désirs, leur passé et leur façon d’interagir avec les autres, leurs souvenirs… Je ne me lance dans la phase d’écriture que lorsque le scénario me paraît solide et que les personnages me semblent aussi réels que des personnes que je pourrais côtoyer dans la vraie vie… Je me mets en totale empathie avec eux, quels que soient leurs idées ou leurs actes. Je les comprends sans jamais les juger, je cherche à expliquer leur cheminement sans jamais les condamner ou les absoudre. Et souvent, ils me hantent encore longtemps après l’écriture…
Votre écriture est très visuelle. Vous nous décrivez d’abord chaque famille dans un plan large, avant de resserrer votre regard sur les enfants. Cette mise en scène fait monter la tension et nous entraîne au cœur du mécanisme du harcèlement, jusqu’à l’inéluctable…
Ce n’est pas du tout quelque chose de conscient, je l’avoue… Je fonctionne effectivement de façon très visuelle ; je vois les scènes, j’entends les dialogues, je ressens les émotions, avant de les écrire. Peut-être suis-je influencée par le cinéma et les séries télévisées. Mes séries préférées sont d’ailleurs celles où la psychologie des personnages me paraît plus importante que l’intrigue elle-même : Walking Dead, Breaking Bad, Broadchurch, Homeland, This Is Us, The Affair… En matière littéraire, je lis surtout des auteurs contemporains, très différents dans leur style, comme Laura Kasischke, Liane Moriarty, Hervé Commère, Grégoire Delacourt, ou encore Douglas Kennedy. Mais si je devais citer un auteur qui m’a fortement marquée, ce serait Stephen King. J’ai lu très tôt ses livres, sans doute un peu trop tôt, car mes parents me laissaient emprunter ce que je voulais à la bibliothèque. Son oeuvre a bercé toute mon enfance et mon adolescence…
On comprend mieux votre goût pour le suspense psychologique et les univers angoissants. Comme si vous vouliez confronter le lecteur à une réalité qui pourrait être la sienne…
C’est l’objectif de chacun de mes romans, et s’il est atteint, on ne peut me faire de plus beau compliment… Je cherche à ce que le lecteur se mette à la place de chacun des personnages, qu’il les comprenne. Rien n’est jamais tout noir ou tout blanc ; aucun personnage n’est un « gentil » ou un « méchant ». Dans Raisons obscures, la plus grande victoire serait que le lecteur referme le livre en se demandant s’il connaît vraiment son conjoint ou s’il a pu ne pas voir certaines choses, certaines souffrances, certaines attentes. S’il connaît vraiment son enfant ou s’il y aurait une chance qu’en ce moment même, il passe à côté de quelque chose de terrible…