J’ai souvent dit que j’étais rétif à l’idée d’écrire quelque chose ancré dans le temps présent… mais c’était avant d’avoir développé intégralement l’idée de ce roman. Pour des raisons techniques liées à son dénouement, je devais le placer dans le monde contemporain. Un des personnages, le jeune Frank Franklin, enseigne dans un type de classe assez peu courant en France : les Ateliers d’écriture créative, une sorte de cours pratique pour devenir romancier dont les Américains sont très friands. Je ne suis pas convaincu de leur efficacité, mais en tous cas, j’avais besoin de ce milieu pour bien conduire Personne n’y échappera. J’étais donc obligé de situer mon intrigue dans les États-Unis d’aujourd’hui. Je ne le regrette d’ailleurs absolument pas ! Même si j’ai mis un certain temps à trouver mes marques, j’ai ensuite pris beaucoup de plaisir à jouer avec des codes imposés, police, FBI, médecine légale, et à tenter de les tourner pour aboutir aux scènes finales de mon roman.
Au début du livre, on pense à un tueur en série, et puis on se rend compte que justement vous n’avez pas voulu reprendre cette figure emblématique du serial killer. Pourquoi ?
Comme beaucoup de gens de ma génération, j’ai été passionné par les romans et les films qui employaient la figure de l’assassin serial killer, et depuis de longues années je me promettais d’essayer de travailler sur ce type de personnage. Toutefois, en me mettant à l’ouvrage, je me suis heurté aux travaux déjà produits sur ce thème : de Ted Bundy à Hannibal Lecter, en passant par le John Doe du film Se7en, le spectre du psychopathe à l’esprit vif et imaginatif avait été balayé et il ne restait plus grand-chose de neuf à faire, sinon à exagérer encore le trait, ce qui me paraissait sans intérêt. Je me suis donc tourné vers un autre archétype de tueur : l’assassin serial killer qui ne serait plus serial. J’entends par là, un forcené sanguinaire apte, à chaque meurtre, à recréer intégralement son mode opératoire, choisissant des victimes différentes et ne répondant à aucune obsession aliénante susceptible d’être démasquée par ses poursuivants. Pendant un an j’ai élaboré ce personnage : son caractère, son histoire passée, ses prédispositions, ses buts, etc. J’ai ensuite entrepris la construction du roman dont il était le sujet. C’est là que les ennuis ont commencé pour moi. Il me fallait coincer ce type. Toutes mes premières tentatives tombaient à plat. J’étais à chaque fois contraint de lui faire commettre un impair, une faute qui, bien évidemment, décrédibilisait complètement le personnage. S’il était si doué et si inventif que je le disais, je ne pouvais le faire rattraper par la police pour une simple erreur de méthode ou d’attention. De la même manière, il était hors de question de créer en face de lui un « flic idéal », lui aussi suprêmement intelligent et appliqué. Cela aurait créé une espèce de lutte de géants totalement artificielle. J’ai mis du temps à trouver une façon convenable de stopper mon tueur.
Vos deux précédents romans abordaient les rapports entre réalité, illusion et faux-semblants. Ce nouveau roman est-il du même ordre ?
Oui. Pardonnez nos offenses jouait sur l’idée que l’Église médiévale pouvait orchestrer des expériences afin de vérifier ses propres dogmes, L’Éclat de Dieu explorait les paradoxes de Zénon, Personne n’y échappera raconte que l’imagination (et par-là même, la fiction) peut avoir des effets sur les hommes bien plus percutants que la réalité. Il y a des « il était une fois… » qui peuvent vous marquer davantage qu’une expérience vécue. Nous vivons avec nos souvenirs, certes, mais aussi avec les souvenirs de nos lectures… Pour marquer ainsi la mémoire, certains romanciers seraient-ils prêts à tout ? Jusqu’où peuvent-ils aller pour concurrencer la réalité et faire vivre des choses à leurs lecteurs ?
Le romancier héros de Personne n’y échappera cherche donc avec acharnement à restituer la réalité dans ses textes. Est-ce une recherche qui vous est propre ?
Heureusement pour mes proches, je suis plus tempéré que mon personnage ! Mais il est vrai qu’il faut toujours considérer comme un devoir de vérifier ce qu’on écrit, et de ne pas soumettre n’importe quoi au lecteur sous prétexte qu’on est dans un roman. Si l’on n’est pas exact en tout, au moins doit-on avoir la politesse de rester vraisemblable et de savoir à quel endroit on a tordu la réalité. Je m’y tiens. Je fais beaucoup de recherches pour mes livres, mais s’il y a acharnement chez moi, il se trouve dans le besoin de divertir mon lecteur. Quand les éléments de la réalité y suffisent, tant mieux, quand ce n’est pas le cas, je maquille cette réalité pour que mon spectacle se poursuive.
Le roman se déroule aux États-Unis, dans le New Hampshire. Quels sont vos liens avec ce pays ?
Depuis mon enfance, j’y passe plusieurs mois par an. Je dois cela à mes parents qui m’y conduisaient avec mon frère à chaque vacance scolaire. Ensuite j’ai vécu deux ans à Los Angeles. Je connais bien ce pays. J’ai longuement visité la Nouvelle Angleterre avant d’arrêter mon choix sur le New Hampshire et sa petite capitale de Concord. En la parcourant il y a trois ans avec ma femme, j’ai eu l’impression d’entrer de plain-pied dans mon roman : tout m’y attendait !
Quels sont les thrillers (livres ou films) dont la lecture vous a impressionné ?
J’aime avant tout que le thriller soit porté par l’action. Du coup je suis plus amateur des auteurs américains que des auteurs anglais. J’adore Herbert Lieberman. Je tiens Nécropolis, La Nuit du Solstice et Le tueur et son double pour de purs chefs-d’œuvre. Difficile de trouver aussi bien. Le Maître des Illusions de Tartt peut-être. J’aime James Crumley et son Dernier Baiser, Michael Connelly et sa Blonde en béton. Tout Hammett, tout Ellroy, bien entendu. Récemment je suis allé rejoindre la cohorte des fans de Pelecanos, de Mankell et de Lehane. Pour les Français, j’en suis resté à Manchette et cela me va très bien comme ça (mais, à ma décharge, je ne suis pas un expert de ce genre national).
Pour Personne n’y échappera, une lecture m’a trotté dans la tête tout au long de la rédaction, c’est La Part des Ténèbres de Stephen King. Sac d’os aussi.
Quant au cinéma, lorsqu’on a cité Se7en et Le Silence des Agneaux, on a tout dit, non ?
Toutefois, on ne peut plus écrire aujourd’hui sur la médecine légale et faire comme si l’on avait jamais vu Les Experts à la télévision.
Vous écrivez beaucoup – cette année un roman et un conte de Noël. Quelle place tient aujourd’hui l’écriture dans votre vie ?
Autrefois, la lecture prenait tout mon temps libre. Maintenant il se partage à part égale avec l’écriture. Mais, plus cela va – et plus viennent les idées nouvelles – et plus j’ai envie de consacrer de temps à mon travail de romancier.
Pour moi, écrire, c’est accéder au summum du plaisir de lire. Je construis des histoires faites de tout ce qui me plaît et débarrassées de tout ce qui m’ennuie. Je cherche à divertir et à me divertir. Si j’écris plus, c’est aussi parce que j’y prends de plus en plus de plaisir.