Melanie et moi, nous avons étudié en même temps à l’université d’Oxford (elle faisait des études en littérature et moi en anthropologie), mais nous ne nous sommes jamais rencontrées là-bas. En fait, nous nous sommes connues par l’intermédiaire de la fondation Anne-Frank à Amsterdam. Melanie travaillait à l’adaptation du Journal d’Anne Frank en opéra, à l’occasion de son 75e anniversaire. Pour la sortie de l’opéra, elle souhaitait publier une petite brochure avec, à l’intérieur, des journaux écrits en temps de guerre. Ce recueil devait être présenté le soir de la première représentation.
Melanie m’a proposé de travailler avec elle sur ce projet, mais au départ, nous ne pensions pas en faire un livre ! Melanie avait été inspirée par son travail sur Anne Frank. Moi, je me suis toujours demandé pourquoi c’était mon journal qui avait été publié plutôt qu’un autre, et je pensais souvent aux autres journaux de guerre qui devaient exister à travers le monde.
Au fur et à mesure de nos recherches, notre petite brochure prenait de l’ampleur et devenait progressivement un livre. Nous avons trouvé beaucoup de journaux différents et de nombreuses personnes, particulièrement les écoliers et les enseignants, ont tout de suite manifesté beaucoup d’enthousiasme autour de ce projet. C’est ce qui nous a poussées à continuer et nous voilà, à la veille de la publication en France !
Comment avez-vous réussi à réunir des textes venus du monde entier, écrits à des périodes différentes et dont certains n’avaient jamais été publiés ?
Ce travail aurait pris beaucoup plus de temps sans Internet ! Nous n’aurions jamais pu contacter les différents instituts, les musées, les ONG, les universités et les personnes qui travaillent ou écrivent sur ce thème. Nous avons mis trois ans pour réunir les récits et expériences de ces jeunes gens dans la guerre.
Le bouche à oreille nous a aussi beaucoup aidées. En parlant de notre travail à une personne qui connaissait elle-même quelqu’un qui pourrait nous aider, et ainsi de suite, nous avons rencontré progressivement beaucoup de monde. Nous avons pu faire aboutir ce livre grâce à un travail collectif formidable, avec comme moteur l’amour et la bonne volonté, et la conviction que la publication de ces paroles d’enfants était importante et utile.
Quelle a été votre méthode de travail ? Comment se sont opérés vos choix : celui de garder ou non un journal, celui de couper un passage, etc. ?
Melanie et moi, nous nous entendons très bien et nous étions parfaitement d’accord sur la direction que nous voulions donner au livre, ce que nous voulions y trouver, ce qu’il fallait préserver absolument. D’abord émues par ces enfants et leurs récits, nous souhaitions également montrer quelles étaient leurs vies, dans une guerre spécifique. En préservant la diversité des voix, nous voulions permettre à nos lecteurs de faire le parallèle entre les différents journaux, même s’ils avaient été écrits à des périodes et dans des pays différents. Il nous a semblé important de transmettre les expériences émotionnelles, mais aussi de montrer la vie quotidienne dans la guerre. Notre « mission » était à la fois de réveiller la compassion et l’empathie chez ceux qui n’ont jamais vécu un conflit, mais aussi de leur faire prendre conscience de ce qu’est, concrètement, la vie en temps de guerre. Nous voulions toucher en priorité les jeunes du même âge que les enfants des journaux. Mais, maintenant que le livre est fini, je pense que ces témoignages sont intéressants et émouvants pour tous les lecteurs.
Quelles ont été les réactions des familles des auteurs des journaux ou des auteurs eux-mêmes par rapport à ce projet ?
Ils étaient ravis de faire partie de ce projet, très émus et honorés. Pour Melanie et moi, il était primordial que tous nous suivent et soient enthousiastes. Nous avons beaucoup communiqué avec les familles et les auteurs, surtout par téléphone.
À la veille de la publication de ce livre, comment vous sentez-vous ? Est-il plus facile d’écrire sa propre histoire ou de publier celle des autres ?
Je suis un peu anxieuse, mais je suis fière de Melanie, de moi, et de notre travail, et aussi très excitée pour les auteurs des journaux. Je suis très contente d’avoir pu participer à faire entendre ces voix. J’espère que Paroles d’enfants dans la guerre sera bien accueilli par le public français. Être l’auteur de son propre journal et avoir réuni ceux des autres est assez différent, j’ai plus de distance aujourd’hui que lors de la publication de mon livre. Je suis également un peu plus vieille et sûrement plus mûre. J’ai l’impression d’être dans une situation où je vous présente mes amis, et j’espère que vous allez bien vous entendre !
Quels sont vos projets pour les années à venir ? Avez-vous d’autres projets du même ordre ?
Melanie et moi, nous travaillons pour l’instant sur l’adaptation de ce livre au théâtre. Plus tard, nous envisagerons peut-être d’en faire un film, ou un opéra. Le livre sort dans plusieurs pays, par exemple aux États-Unis, au Canada, en Italie, au Brésil et en Corée du Sud, et nous allons faire en sorte qu’il ait le plus fort écho possible dans le monde. Chacune, nous avons nos idées et nos projets pour l’avenir, peut-être que nous en réaliserons certains ensemble, nous verrons…
Zlata, vous avez publié votre Journal en 1993, qui est devenu un best-seller mondial. Quel a été votre parcours depuis ?
J’ai passé presque deux ans en France, et puis j’ai déménagé avec mes parents à Dublin, en Irlande. C’est là que j’ai terminé le lycée, avant de partir étudier à l’université d’Oxford, où j’ai obtenu mon premier diplôme. Puis je suis retournée en Irlande pour ma maîtrise en relations internationales et droits de l’homme. Je suis toujours restée très proche de Sarajevo où je suis actuellement, à la veille de la sortie du livre.
Avez-vous gardé un attachement particulier à la France ?
Le livre sort en avant-première en France. J’en suis très touchée, parce que c’est en France, grâce à Bernard Fixot que mon Journal a été publié pour la première fois. Je suis contente que ce soit lui qui publie aujourd’hui Paroles d’enfants dans la guerre, parce que pour moi et mes parents, il est devenu un membre à part entière de la famille.
Je me souviendrai toujours du 23 décembre 1993 quand je suis arrivée à Paris avec mes parents, et où tout le monde nous attendait. La France nous a très bien reçus, les bras grands ouverts, je ne l’oublierai jamais. Beaucoup, beaucoup d’autres, tous les gens qui sont devenus des amis. Merci encore !