Pour ce quatrième volume, comment avez-vous travaillé ?
Anne : Le travail en duo se passe toujours aussi bien, peut-être même mieux qu’avant. Cendrine et moi sommes plus confiantes et surtout moins seules, s’affranchir de certaines hésitations est un luxe que, personnellement, je savoure (sans parler des aspects beaucoup plus pratiques de toute la vie d’un livre : fini les livraisons de cartons qui vous brisent les bras !). Avons-nous changé ? Certainement. J’hésite moins, donc le travail d’écriture est plus efficace, plus précis et cohérent, et en même temps je m’accorde plus de liberté(s). Je suis à l’aise avec ce que je fais et j’adore ça.
Cendrine : Le fait qu’Oksa soit lu par beaucoup plus de personnes qu’auparavant est très stimulant, ça « énergise » l’écriture. Anne et moi sommes plus en osmose, il y a moins de désaccords sur la façon d’aborder l’intrigue, le travail d’écriture, le traitement des personnages. On comprend mieux dans quelle voie se diriger et… on rit beaucoup plus !
Pouvez-vous nous rappeler « l’histoire dans l’histoire », ce qui vous a menées à d’abord auto-éditer Oksa Pollock ?
Cendrine : Été 2006, le premier tome étant fini, nous l’avons envoyé chez un éditeur qui l’a refusé. J’étais furieuse, et j’ai lancé : « Puisque c’est ça, on va le publier nous-mêmes ». Le lendemain j’étais à la chambre de commerce pour déposer un numéro Siret et c’était parti. Nous avons retravaillé le texte, coupé, amélioré, et nous l’avons soumis pour lecture à des ados du collège Kléber, le grand collège de Strasbourg, qui ont tout de suite accroché et aimé. Ça nous a donné confiance. Une fois créée notre « maison d’édition » Du Dehors, nous avons fait un premier tirage de 1 000 exemplaires. Le site Internet, conçu par un copain, a été mis en ligne, nous avons contacté les libraires. Et puis un jour les deux palettes de livres sont arrivées, un grand moment de plaisir et de panique aussi, nous les avons répartis chez Anne, chez moi, chez des amis, il y avait des cartons partout !
Anne : Ensuite Cendrine a acheté un chariot, et nous voilà parties chez les libraires. C’était du « dépôt-vente » en quelque sorte. En quelques semaines, les mille exemplaires étaient vendus. Nous en avons retiré… Le deuxième tome est sorti en octobre 2007, là c’était lancé, il était attendu, nous avions des commandes à foison. Nous avons reçu des centaines de messages d’encouragement, avons fait des salons. Assez vite tout notre temps libre a été absorbé par la gestion et la manutention des bouquins. Je dois dire que ma fille a été très patiente, ce n’était pas toujours facile pour elle de voir Oksa prendre toute cette place. Mais nous avions un moteur : les jeunes ont adhéré si fortement qu’ils nous portaient, on se rendait compte qu’il y avait des lecteurs qui attendaient la suite, c’est une sensation extraordinaire.
Ensuite vos jeunes lecteurs ont joué un rôle dans la parution de votre roman ?
Cendrine : Tout est parti d’une colère des jeunes lecteurs d’Oksa Pollock qui nous soutiennent depuis le début et voulaient nous rencontrer au Salon pour la Jeunesse à Montreuil. Nous n’avions pas les moyens de nous payer un stand. Nous leur avons expliqué notre situation, celle des auteurs auto-édités. Et tout à coup leur est apparue la fragilité de leur héroïne : Oksa n’ayant pas de véritable éditeur, que se passerait-il si nous ne pouvions plus faire face ? Quand ils nous ont demandé de refaire une tentative pour être publiées, nous leur avons expliqué que la série étant bien avancée, il était très peu probable qu’elle intéresse maintenant un éditeur, qu’il fallait se faire une raison ! Mais la jeunesse n’étant pas raisonnable, ils ont comploté. Voilà comment un jour nous avons reçu la copie d’une lettre de protestation passionnée, qu’ils avaient envoyée aux grands journaux et aux éditeurs. Puis est arrivé le coup de fil de XO, la rencontre avec Bernard Fixot qui nous a accueillies avec un enthousiasme stupéfiant. Tout ça en quelques jours, et grâce aux jeunes !
Et aujourd’hui, entre promotion, écriture et voyages à l’étranger, vous parvenez à conserver ce lien privilégié avec vos jeunes lecteurs noué sur Internet ?
Anne : Même si les Pollockmaniaks sont beaucoup plus nombreux aujourd’hui, bien sûr je garde une tendresse particulière pour ceux qui sont à nos côtés depuis le début. Je n’entretiens pas de lien visible sur Internet, ce qui ne signifie pas que je prends de la distance, non non. J’ai un œil sur eux, de loin, je les suis, ils me font rire, ils m’émeuvent, ils m’encouragent sans forcément le savoir. Et puis il n’y a rien que j’aime davantage que de les rencontrer sur les salons ou lors des dédicaces, leurs regards qui brillent, leur émotion, leur curiosité me donnent une force irremplaçable !
Mais au-delà de l’émotion, j’avoue ressentir une certaine fierté d’avoir, par ce livre, initié une véritable communauté, sensible, vivante, solidaire. D’abord française, elle est désormais internationale. Chacun des éditeurs étrangers ayant acheté les droits s’investit avec beaucoup de dynamisme, notamment via les sites et les pages Facebook consacrés à Oksa. Et c’est ainsi que les fans d’ici et d’ailleurs, allemands, croates, tchèques ou espagnols peuvent communiquer entre eux, élargissant la communauté des Pollockmaniaks. Nous en connaissons certains (virtuellement), faisons leur connaissance au fil des rencontres (en chair et en os !), ils deviennent nos jeunes amis.
Cendrine : Maintenant que j’ai arrêté de travailler pour écrire, je peux me consacrer très largement au forum d’Oksa et aux Pollockmaniaks qui sont plus nombreux de jour en jour. J’ai toujours travaillé avec et pour des jeunes, je les connais bien et aujourd’hui, je continue de répondre à leurs questions parfois très personnelles ou complexes, plus en tant qu’adulte qu’en tant qu’écrivain car c’est dans ma nature. La barrière des langues pourrait être un obstacle (je ne bénéficie pas du don de la Poluslingua comme Oksa !), mais nous parvenons toujours, malgré tout, à communiquer.
Qu’est-ce que vos lecteurs apprécient chez Oksa Pollock, selon vous?
Anne : Hormis ses pouvoirs, Oksa est une jeune fille qui leur ressemble : elle a les mêmes soucis, contraintes, tourments et bonheurs que la plupart des ados. Le fait qu’elle ne soit pas orpheline comme de nombreux héros du registre fantastique est certainement un atout supplémentaire : ses parents, sa famille sont très présents, comme pour la majorité des jeunes de cet âge. On peut très facilement se projeter car, bien qu’elle ait des pouvoirs, Oksa est confrontée à des limites, des fragilités, des frustrations. Elle n’est pas invincible et encore moins exemplaire. Dans ce 4e volume, Les Liens maudits, l’amour prend une place importante, de la même façon qu’il devient une préoccupation pour de nombreux ados, filles ou garçons. Magicienne ou pas, Oksa a maintenant plus de 16 ans, elle doit assumer les conséquences de ses choix et de ses actes, comme n’importe qui.
Cendrine : Plus globalement, l’histoire d’Oksa explore les thèmes de l’amitié, de l’amour naissant, de la destinée et de l’identité qui sont recherchés par les jeunes lecteurs. Au fil des volumes, nous ajoutons d’autres dimensions en adéquation avec l’évolution d’Oksa (on n’agit pas et on ne raisonne pas de la même façon à 13 ans qu’à 16 ans). Son rapport aux garçons devient également un aspect plus important. Nos lecteurs nous disent apprécier le fait qu’Oksa et ceux qui l’accompagnent ne soient pas des super-héros, mais simplement des êtres « très » humains. Ils sont très attachés aux personnages, et ça je pense que c’est parce que nous nous sentons réellement proches de cette famille Pollock, nous l’aimons, c’est notre famille, les lecteurs le sentent, et ça leur donne envie de la suivre !
Aujourd’hui, vous vous consacrez toutes les deux à l’écriture, quels sont vos projets ?
Anne : Écrire la suite et la fin d’Oksa.
Cendrine : Et puis n’oublions pas Susan Hopper, notre nouvelle héroïne, dont vous pourrez bientôt lire les aventures.
Anne : Les idées ne manquent pas. Jamais !