Et si l’intelligence des animaux augmentait subitement ? Le roman part de ce postulat: une super Planète des singes où toutes les espèces, pas seulement les primates, gagnent en matière grise. Mais alors, quelle espèce profiterait le plus de ce QI boosté ? Réponse : celle qui n’a non pas un, ni deux, mais neuf cerveaux, les pieuvres. Un effet secondaire du phénomène est de rendre ces pieuvres colossales. La rencontre entre ces Goliath et les humains se déroule la première fois aux Bahamas, quand un drone d’exploration sous-marine de la NASA capte, au fond d’un cénote, un étrange signal lumineux, définitivement intelligent. Non sans causer quelques dégâts, d’autres pieuvres géantes et communicantes ne vont pas tarder à faire leur coming out, aux quatre coins du globe, elles aussi porteuses d’un message. Quel sens a-t-il ? La NASA et une biologiste d’un zoo marin, Margot Klein, vont tenter de le savoir. Comment réagirions-nous si un animal se révélait être plus malin que nous le pensions et faisait passer à l’humanité un test d’intelligence? Voilà le scénario vertigineux que met en scène le roman.
Comment en êtes-vous venu à vous intéresser à cet animal fascinant qu’est la pieuvre ?
Je suis plongeur et la pieuvre émerveille les visiteurs de la grande bleue. Le commandant Cousteau et son équipe ont écrit un livre sur cette créature où l’on perçoit l’envoûtement qu’elle exerçait sur eux. Sur la côte Est des ÉtatsUnis, ils avaient notamment filmé des pieuvres géantes du Pacifique, dont le diamètre peut atteindre six mètres. Même si les pieuvres d’Octopus jouent dans la catégorie supérieure, c’est déjà impressionnant! Aux États-Unis, dans les années 1930, on organisait des combats entre pieuvres géantes du Pacifique et hommes. Il y a deux mille ans, des dessins de poulpes ornaient les poteries antiques grecques. Leurs dons de mimétisme en font des égales de Harry Potter, avec sa cape d’invisibilité. En fait, les pieuvres nous offrent un spectacle si singulier dans le monde animal, si éloigné de nous – et cette remarque s’étend à leur biologie cellulaire hors norme, elles peuvent reconfigurer une partie de leur composante génétique, par exemple –, que des chercheurs ont envisagé très sérieusement qu’elles avaient une origine extraterrestre, dans une publication.
On ne peut pas en vous lisant ne pas penser à Jules Verne et son Vingt mille lieues sous les mers. Quelles ont été vos sources d’inspiration ?
Elles ont été nombreuses, même s’il s’agissait davantage de références qui s’allumaient dans mon cerveau dès que je me mettais au travail. Il y a bien sûr le film Rencontres du troisième type de Spielberg, qui met en scène la rencontre entre l’homme et une intelligence extraterrestre non belliqueuse. Et sa relecture moderne, Premier Contact, sorti il y a quelques années (où la race extraterrestre possède d’ailleurs une allure tentaculaire). Comment communiquer avec ce que l’on ne comprend pas ? C’est une question passionnante. Pour améliorer la qualité des descriptions des pieuvres géantes, les ciseler et les diversifier, il a fallu que je me replonge dans des écrits. J’ai relu notamment Les Travailleurs de la mer de Victor Hugo (c’est lui qui, quand il était en exil à Jersey, a popularisé le terme de « pieuvre », un mot normand à l’origine, auparavant on employait en français le mot «poulpe »). Avec son style emphatique, il y théâtralise la puissance fantasmagorique de la pieuvre et la crainte irraisonnée qu’elle engendre. Ce sont les émotions que j’ai cherché à reproduire
Votre livre est très documenté. Quel est l’état actuel des connaissances sur l’intelligence et la communication animale, domaine qui reste toujours mystérieux et fascinant ?
Nous sommes très clairement à un tournant dans notre rapport avec les animaux. Depuis une dizaine d’années, les recherches sur le langage animal avancent à une vitesse exponentielle. Déjà, on a établi sans conteste possible que certains animaux utilisent une ébauche de langage, et ne se limitent pas à des réactions pavloviennes du genre stimuli-réponses. Les singes vervets africains (au pelage qui tire sur le vert) savent construire des séquences sonores signifiantes, comme des phrases, en accolant plusieurs sons, du genre: «attention-danger-ciel» ou «attention-danger-terre».
Mieux, il existe des exemples d’usage de la récursivité chez les corbeaux, un concept clé nécessaire pour atteindre le niveau le plus abstrait d’un langage. Enfin, de nombreuses personnes issues du monde de la recherche, mais aussi d’autres horizons, comme des musiciens, s’efforcent d’entrer en communication avec des dauphins ou des baleines, par exemple. Quand vous voyez un chien appuyer sur des buzzers, chacun étant associé à un mot, pour répliquer à son maître qui refuse de le sortir: «Moi triste – Moi pas aimer toi », vous tombez de votre chaise ! Nous sommes à l’aube d’une révolution. D’ici dix ou vingt ans, et les choses s’accélèrent avec l’IA, il se pourrait bien que nous ayons mis au point un logiciel de traduction qui nous permette de communiquer avec une espèce animale.
Revenons à Margot Klein, votre héroïne. Qui est cette biologiste spécialiste des dauphins ?
Margot Klein est la directrice scientifique d’un zoo marin sur l’île SaintThomas, aux Caraïbes, le Mona Ocean Park. C’est une ancienne commando marine, qui s’est reconvertie dans la recherche après avoir vécu un moment d’épiphanie au contact de dauphins mercenaires, ceux employés par les Russes pour espionner ou saborder des navires. Au Mona Ocean Park, outre qu’elle gère les pensionnaires aquatiques, Margot Klein étudie un groupe de dauphins qui peuplent la baie voisine. Elle connaît le comportement et la personnalité de chacun. Elle tente de communiquer avec eux, mais son objectif se heurte depuis quelque temps à un écueil: les dauphins manifestent une nervosité anormale, comme si un prédateur rôdait dans les parages…
Face à Margot, vous opposez une sorte de savant fou en la personne du docteur Pepperberg. Est-ce une manière pour vous, romancier et journaliste scientifique, de mettre en garde contre les possibles dérives de la science ?
Dans le roman, Pepperberg est le spécialiste mondial de l’intelligence animale. Il est parfaitement sincère dans ses recherches et ses engagements. Seul problème : il finance ses travaux en collaborant avec des sociétés de la Silicon Valley, car l’efficacité énergétique du cerveau – animal comme humain – est telle qu’elle permettrait d’économiser des quantités considérables d’énergie si on parvenait à en reproduire les ressorts dans des puces. L’argent qui tombe de ces entreprises du hightech lui vaut les regards courroucés de toute la communauté scientifique. Et va l’amener à déraper. C’est le risque que court toute personne ambitieuse qui cherche à accélérer le temps. À un moment donné, vous devez choisir : jouer selon les règles ou non…
L’écologie et l’avenir de la planète occupent une place centrale dans ce roman. Changements climatiques, montée des eaux… Vous qui vivez sur les côtes bretonnes, êtes-vous particulièrement préoccupé ?
Dans le roman, le phénomène chimique qui transforme les pieuvres en Krakens monstrueux, capables d’échouer des navires, comme dans les légendes nordiques, est causé par la pollution plastique. Le plastique contient des perturbateurs endocriniens (c’est-à-dire qui perturbent les hormones), accusés d’engendrer mille et une plaies: altération du développement biologique des animaux, raréfaction du sperme humain, contribution à l’autisme… La liste fait peur. Or, en 2050, nos océans contiendront plus de plastique que de poissons…
Et les animaux, alors. Êtes-vous plutôt chat, chien… ou rien du tout? Qu’est-ce qui vous fascine le plus quand vous observez un animal domestique ?
J’ai viré ma cuti. Jeune, je ne jurais que par mon chat qui dormait la nuit sous ma couette. Il y a une dizaine d’années, j’ai pris un chien, un peu pour faire l’expérience d’une intelligence animale, réputée plus impliquée dans la relation avec l’homme. Quand Peuf, une femelle border collie, est arrivée dans le foyer, j’ai immédiatement dit aux enfants: on va s’en occuper comme s’il s’agissait d’un membre de la famille. Les border collie communiquent beaucoup avec les yeux, leur regard véhicule une émotion capable de vous clouer sur place. Je la promène tous les jours pendant une heure et à travers ces promenades, elle participe involontairement à mon activité romanesque qui exige ces aérations mentales. Je lui ai réservé un petit rôle dans le livre. Juste en remerciement de son amitié sincère et totale.
Envisagez-vous, comme pour Erectus, une suite à Octopus, ou travaillezvous déjà sur un nouveau projet ?
Octopus est une histoire autonome et le restera, même si La Planète des singes a montré qu’on pouvait raconter beaucoup d’histoires intéressantes sur le thème de l’intelligence animale. Mais se frotter à des suites est loin d’être un parcours de santé, contrairement aux apparences. Vous vous dites : l’univers et les personnages sont plantés, il n’y a plus qu’à dérouler à présent, les suites vont s’écrire toutes seules. Grossière erreur ! Être exigeant avec soi, chercher à être aussi pertinent qu’au tome 1, c’est monter sur un ring où on sue sang et eau. Mon prochain roman se passera dans notre corps. Ce sera le premier thriller à l’intérieur du corps humain. Après Octopus, celui-ci pourrait s’appeler Vingt mille lieux sous les veines.