Interview de l’auteur
Pourquoi ce livre sur Charlemagne ?
Parce que ce personnage est considérable. On perçoit souvent Charlemagne, le roi des Francs, comme l’un des fondateurs de la France, mais, en réalité, il est bien plus que cela : c’est l’un des pères de l’Europe. Ce n’est pas un hasard si les eurocrates ont choisi Aix-la-Chapelle pour décerner, chaque année, un « Prix Charlemagne ». Il existe un rapport puissant, direct, entre l’institution européenne et celui dont elle estime qu’il l’a portée sur les fonts baptismaux. Mais Charlemagne n’est pas que cela. Il marque un tournant, un basculement même dans l’histoire de notre civilisation. On entre dans quelque chose de spécifique, de neuf, qui est précisément le monde carolingien. L’armée, c’est-à-dire la volonté de conquête, se structure. Les « hommes de fer », comme on les appelait parce qu’ils étaient couverts d’armures, sont restés dans toutes les mémoires. Charlemagne crée des hiérarchies nouvelles, il institue les comtés avec, à leur tête, une autorité politique, le comte, qui dépend directement du monarque. Il se dote aussi d’une assise intellectuelle forte avec le développement des études. On a souvent exagéré le rôle de Charlemagne dans l’essor de l’enseignement mais il amorce clairement le mouvement avec des hommes de grande qualité comme Éginhard – celui-là même qui, dans mon livre, recueille les confessions de l’empereur.
Le rapport à Dieu et à l’Église est-il fondamental dans la construction de son empire ?
Cette imbrication nouvelle entre l’Église, ses structures, ses ambitions, et Charlemagne et son empire est essentielle. Charlemagne est sacré par le pape. Il est considéré par le peuple, par les paysans comme par les comtes, comme celui que Dieu a choisi. On est dans un rapport intime entre la politique conduite par ceux qui dirigent le royaume franc et l’Église. D’où le titre de mon livre : Moi, Charlemagne, empereur chrétien… Et ce sous-titre : « Dieu a voulu que je sois celui qui décide ». Ce rapport personnel à Dieu et, bien sûr, à ses sujets, est très important. Ce qui a commencé dans l’Empire romain – le rapprochement entre Constantin et l’Église – se déploie dans l’Empire de Charlemagne avec les abbayes, les études, les règles, et tous ces missi dominici qui portent la bonne parole. Quand on n’est pas chrétien, on risque d’être décapité – les Saxons l’ont compris. Dans ses capitulaires, Charlemagne exprime cette interaction profonde entre le pouvoir impérial et l’Église catholique incarnée par le pape.
Justement, à propos des Saxons, vous rappelez que l’homme pouvait être d’une brutalité terrible…
À Verden, en 782, il a fait décapiter 4 500 Saxons. Ces hommes ont eu la tête tranchée parce qu’ils avaient prêté serment à un représentant de Dieu, Charlemagne, et qu’ils n’ont pas respecté ce serment. La violence de cet événement a fait dire à Voltaire : « Charlemagne, au fond, était comme tous les autres conquérants, un usurpateur… On sait qu’il fit assassiner des milliers de Saxons : et on en a fait un saint. » Faut-il suivre le philosophe ? Voltaire veut juger l’histoire de manière objective. Mais je ne suis pas de cet avis. Le défaut principal des historiens, c’est l’anachronisme. Voltaire juge Charlemagne avec les lunettes de quelqu’un du XVIIIe siècle qui est hostile à la peine de mort – et c’est tant mieux – mais qui ne saisit pas, ou ne veut pas saisir, les nuances que Charlemagne apporte à l’art de gouverner. Ces nuances sont des formes de modération par rapport à ce qui se faisait précédemment. Il est à la fois intransigeant et partisan du compromis. Il le démontrera plus tard avec les Saxons. En réalité, il faut juger Charlemagne avec mesure. Ne rien dissimuler, ne pas en faire un saint, mais pleinement prendre en compte son apport dans la construction de l’Empire chrétien. Je reste personnellement fasciné par cet homme qui crée de nouvelles façons de considérer les peuples qu’il a sous sa gouverne. Tout cela doit être lu avec la distance que l’écoulement du temps exige…
Si vous n’aviez que quelques mots pour le définir, quel portrait feriez-vous de lui ?
Croyant, ferme, courageux, sobre, robuste, pas très cultivé mais sachant s’entourer d’hommes de culture qui s’inclinent devant lui. Brutal et conciliant à la fois. Un grand sens des responsabilités. Le sens du temps, de la durée. Une référence absolue : Charles Martel, son grand-père. Charlemagne veut être à la hauteur de son aïeul.
Votre récit est écrit à la première personne. Pourquoi avoir choisi de faire parler Charlemagne ?
J’ai déjà pratiqué cette forme plusieurs fois, notamment dans un livre consacré à saint Bernard. La série s’appelait « Les Chrétiens ». J’aime assez cette forme de récit qui permet d’exprimer la sensibilité de Charlemagne, mais aussi sa violence. La part de mise en fiction dans ce livre répond bien à mon projet : respecter la vérité historique, ne pas la dissimuler, ne pas la détourner, ne pas l’amplifier, mais considérer que cette vérité historique ne peut être appréhendée comme on appréhende tel ou tel événement d’aujourd’hui. Il est juste, à mon avis, d’utiliser une forme nouvelle pour essayer de comprendre le fonctionnement nouveau d’une société.
Vous terminez l’épilogue de votre ouvrage par cette phrase : « Charlemagne, Aix-la-Chapelle, Strasbourg, Verdun, c’est l’écho lointain de nos origines, d’une histoire que rien ne peut effacer, sinon la disparition de notre civilisation. » Quel message voulez-vous faire passer au lecteur ?
C’est une manière d’exprimer l’ampleur de l’enjeu que constitue notre histoire. Au moment de la discussion sur la Constitution européenne, on a beaucoup débattu sur les origines chrétiennes de l’Europe. Fallait-il, oui ou non, les mentionner ? J’y étais personnellement partisan. Non pas pour marquer mon adhésion au christianisme, mais simplement pour dire : si on veut évoquer les racines de l’Europe, alors il faut faire comprendre que l’Europe est liée à cette œuvre de Charlemagne. Le roi des Francs, l’empereur chrétien, est l’un des socles sur lequel s’est construit la civilisation européenne. Quarante-cinq ans de règne quand même ! Après lui, lors du traité de Verdun, les trois descendants de Charlemagne s’exprimeront dans leur propre langue. On passe de l’Empire latin à des nations qui, chacune, ont leur visage. C’est la naissance de l’Europe des nations ! Malgré les efforts de Valéry Giscard d’Estaing, le Parlement européen a refusé cette référence aux origines chrétiennes de l’Europe. Pour moi c’est une grave erreur. Cela signifie que l’on se donne les moyens d’effacer une partie capitale de notre histoire commune. Et on n’y a jamais avantage. Sinon de voir disparaître notre civilisation…
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la presse en parle
“Avec l’art de conteur qu’on lui connaît, l’historien Max Gallo dresse un portrait infiniment humain du grand empereur chrétien.”
Catherine Lalanne, Le Pèlerin
“Il en émane une gravité et une authenticité non feinte qui donnent un relief nouveau à ce conquérant implacable, pour lequel Gallo ne cache pas son admiration.”
Diane Gautret, Famille chrétienne
“Max Gallo révèle l’extraordinaire caractère, fait d’autorité et d’intelligence délicate, de celui qui, serviteur de l’Eglise, construit a la fois l’Empire chrétien et les fondements de l’Europe.”
Alain Maestracci, Nice-Matin
« Max Gallo révèle l’extraordinaire caractère, fait d’autorité et d’intelligence délicate, de celui qui construira à la fois l’Empire chrétien et les fondements de l’Europe. (…) Un récit saisissant qui plonge aux racines mêmes de la civilisation chrétienne. »
La presse littéraire