C’est le premier de mes romans qui a clairement pour origine l’impression très forte que m’a laissée la visite d’un lieu. Il y a trois ans, lors de vacances aux États-Unis, j’ai séjourné pendant une semaine dans un vieux phare sur la côte ouest de Cap Cod. Une tour octogonale en bois de douze mètres de haut, cernée par l’océan et les rochers et battue par le vent. Un endroit aussi fascinant qu’inquiétant : par beau temps, on était dans un tableau d’Edward Hopper, mais il suffisait que le ciel se couvre et que le vent se lève pour se retrouver dans un roman de Stephen King !
Pour le romancier que je suis, cette ambiance était propice à frapper et à nourrir mon imaginaire. C’est donc lors de ce séjour que j’ai pensé pour la première fois à l’histoire de mon héros, Arthur Costello, un jeune médecin urgentiste à qui le père mourant lègue un vieux phare mystérieux qui appartient à sa famille depuis plusieurs générations.
Mais cet héritage se révèle être un cadeau empoisonné…
Oui, car il est assorti d’un interdit : Arthur doit s’engager à ne jamais ouvrir une porte métallique qui se trouve dans la cave du phare. Un engagement qu’il ne va bien évidemment pas respecter. En poussant la porte, le jeune médecin ouvre la boîte de Pandore et va découvrir le secret que cache le phare. À partir de cet instant, il ne sera plus jamais un homme comme les autres.
J’ai toujours aimé ce genre de situations dans lesquelles un homme ordinaire se retrouve confronté à des événements qui le dépassent. Je prends particulièrement plaisir à décrire ces moments de doute et de déstabilisation lorsqu’un personnage est projeté dans un monde dont il ne connaît pas les codes. Car c’est souvent le danger et l’inconnu qui font ressurgir en nous notre passé et nos peurs archaïques, nous obligeant à nous confronter à nous-mêmes et à voir au bout du compte ce que nous avons vraiment dans le ventre.
Dans votre histoire, ce phare de la Nouvelle-Angleterre devient donc le symbole de la transmission familiale et du secret de famille ?
Cette métaphore me permet en effet d’aborder différentes questions liées au poids de l’héritage familial : quelles valeurs transmettre à ses enfants ? Dans quelle mesure nos actes dépendent-ils de notre histoire familiale ? Pourquoi devenir parent nous rend-il à la fois plus forts et plus vulnérables ? Une peur ou une culpabilité peuvent-elles se transmettre d’une génération à une autre ?
Alors que votre précédent roman, Central Park, se déroulait en « temps réel » sur à peine 24 heures, celui-ci se déploie sur 24 ans, de 1992 à aujourd’hui, chaque chapitre étant consacré à une année. Pourquoi ce changement radical ?
En quatre cents pages, on assiste à une traversée accélérée des dernières décennies. Cela me permet de suivre l’évolution de la relation d’un couple sur près d’un quart de siècle. Les destins d’Arthur et de Lisa vont s’entremêler. Pendant plus de deux décennies, ils vont s’aimer, se déchirer et lutter pour déjouer les pièges que leur impose le temps.
L’un des enjeux du roman était ainsi de construire un parallèle entre les bouleversements sociaux, politiques ou technologiques et les bouleversements intimes d’une vie singulière.
Aux détours de références historiques et culturelles, j’ai aussi essayé d’esquisser le portrait d’une certaine génération pressée, prise dans un entre-deux siècles durant lequel le monde s’est transformé.
En écho à ces transformations répondent celles de la ville de New York qui depuis vingt-cinq ans s’est totalement métamorphosée. Au début du roman, c’est la ville dangereuse que j’ai découverte lors de mon premier voyage à l’âge de 19 ans au début des années 1990 : un coupe-gorge imprévisible qui était le théâtre de plus de 2 000 meurtres par an. Dans les dernières pages, New York est telle qu’on la connaît aujourd’hui : une ville plus apaisée, mais dans laquelle tout peut toujours arriver.
Au centre de votre roman, on trouve un couple, Arthur et Lisa, qui vit une relation peu commune puisqu’ils ne se croisent qu’une seule journée par an !
C’était en effet l’un des enjeux de cette histoire : raconter les différentes étapes de la vie d’un couple en une vingtaine de « tableaux ». On assiste à leur rencontre, à la naissance de leurs sentiments, à leur passion amoureuse, leurs difficultés, leurs ruptures, leurs reconquêtes successives, leur vie familiale…
De toutes les relations amoureuses que j’ai pu écrire, celle-ci est sans doute la plus originale, mais c’est aussi, dans son dénouement, l’une des plus émouvantes.
Depuis quelques années, avec L’appel de l’ange et Demain, vous avez amorcé un virage évident vers le thriller, qui a été couronné par l’immense succès de Central Park. L’instant présent s’inscrit-il dans cette même veine ?
Plus que jamais, le suspense et l’émotion sont les fils conducteurs de ma narration. J’ai toujours pleinement assumé ce plaisir d’être un storyteller et de chercher à offrir à mes lecteurs une expérience originale de lecture en les dépaysant et en les tenant en haleine.
Après une période pendant laquelle il était presque mal vu de vouloir raconter une histoire, nous vivons depuis quelques années un nouvel âge d’or de la fiction. Que ce soit à travers les séries télé ou dans les romans, le goût du public pour la dramaturgie est de plus en plus fort. Les lecteurs sont de plus en plus familiers des codes de la fiction. Confrontés à une multitude de choix, ils sont donc devenus de plus en plus exigeants, d’où la nécessité d’innover à chaque roman pour essayer de proposer une histoire suffisamment addictive, novatrice et complexe qui soit portée par des personnages faits de chair et de sang.
J’aime ainsi toujours autant mélanger les genres et écrire des histoires hybrides. C’est, je crois, ce qui constitue ma spécificité et ma singularité : déjouer les attentes, jouer avec le rythme, faire évoluer les ambiances à la frontière entre plusieurs genres.
L’instant présent est haletant et mystérieux, mais aussi plein d’humour, notamment à travers la relation qui s’établit entre Arthur et son grand-père, Sullivan Costello.
Au vu des réactions des premiers lecteurs, c’est sans doute le « couple » le plus attachant du roman. J’ai pris en tout cas un plaisir immense à écrire, à mettre en scène et à dialoguer chacune de leurs scènes. Dès que j’ai écrit leur première rencontre, j’ai senti qu’une alchimie particulière s’opérait entre les deux personnages. On est parfois dans l’affrontement, mais le plus souvent dans la complicité, la chamaillerie, l’échange de bons mots. Pour créer le personnage de Sullivan, j’avais en tête à la fois mon propre grand-père, mais aussi certains acteurs américains, célèbres pour leur rôle de mentor : Paul Newman dans La Couleur de l’argent, Sean Connery dans À la rencontre de Forrester, Clint Eastwood dans Million Dollar Baby…
L’instant présent : comment vous est venue l’idée de ce titre ?
L’idée du titre est venue très tard. Pendant longtemps le roman s’est appelé L’Homme qui disparaît. Puis L’instant présent s’est finalement imposé comme une évidence. Comme chacun de nous, mais avec encore plus d’intensité, mon héros est poursuivi et débordé par le temps. Et le temps gagne toujours à la fin. Notre arme la plus efficace est peut-être justement de vivre pleinement l’instant présent : en refusant à la fois de se laisser contaminer par les regrets liés au passé et par les projections liées au futur. Plus facile à dire qu’à faire, je vous le concède…
Grâce à Central Park, vous avez été en 2014 l’auteur français le plus lu pour la quatrième année consécutive. Comment avez-vous abordé ce nouveau succès, qui va au-delà même de ceux de vos précédents romans ?
J’ai été ravi de voir que mes lecteurs m’avaient suivi sur ce roman qui était un pur thriller. La belle surprise a aussi été de voir que Central Park a été lu par beaucoup de personnes qui ne me lisaient pas auparavant, le plus souvent parce qu’ils avaient une image déformée et fausse de mon travail. Central Park m’a ainsi permis de décoller certaines étiquettes.
Je suis heureux que ce succès se perpétue d’une année à l’autre notamment grâce au bouche-à-oreille, mais mon caractère me porte à davantage me projeter vers l’avenir plutôt que de vouloir me figer dans une position ou dans un statut. Je travaille comme un artisan. Je prends toujours autant de plaisir à imaginer des histoires et j’ai en tête de nombreuses idées de romans dans des genres très différents. Dans le monde hypertechnologique qui est le nôtre, où les écrans, les réseaux et le virtuel règnent en maîtres, je trouve toujours fascinant qu’une simple succession de mots et de phrases puisse faire naître en nous, lecteurs, une impression d’évasion, de dépaysement et des émotions aussi fortes…