L’accueil qu’ont fait les lecteurs au Disque de Jade va me permettre de me consacrer de façon plus entière à l’écriture. Pour moi, c’est un réel bonheur que d’écrire et de faire partager ma passion pour l’Empire du Milieu. J’ai cherché longtemps comment faire comprendre et aimer la Chine aux Occidentaux, malgré la barrière de la civilisation. La Chine est un « monde en soi », depuis des millénaires, il est très difficile de l’expliquer en se référant à nos critères. Grâce au roman, je n’ai pas à expliquer, je peux transporter le lecteur dans la vraie Chine, celle que je connais, ludique, foisonnante, débordante de vie, et le faire avancer pas à pas dans la découverte, sans l’effrayer, en lui faisant « vivre » ce monde si différent. C’est pour moi un rêve réalisé.
Pourquoi avez-vous choisi de construire votre nouveau roman autour de la Route de la Soie ?
La Route de la Soie m’a toujours fasciné, surtout à l’époque où j’ai situé le roman, sous la dynastie des Tang, au moment où la civilisation chinoise est à son apogée, un peu comme l’Égypte sous Ramsès ou la Grèce sous Périclès.
Quand on écrit sur la Route de la Soie, on entraîne le lecteur le long d’une route de plusieurs milliers de kilomètres. On le fait donc « voyager » de la Chine à l’Inde, en passant par le Tibet et les oasis d’Asie centrale… C’est ce que j’ai essayé de faire, j’ai voulu que L’Impératrice de la Soie soit comme un grand voyage, pour plonger le lecteur dans ce fabuleux « moment historique » où l’Orient et l’Occident dialoguaient de manière si féconde, en faisant fi des barrières de la langue, de la culture et des mentalités.
L’Impératrice de la soie, c’est Wuzhao, une ancienne concubine à la fois froidement ambitieuse et tiraillée par le doute. Pouvez-vous nous parler d’elle ?
Wuzhao, qui a régné sous le nom de Wu Zetian, est la seule femme de l’histoire chinoise qui réussit à devenir empereur au sens plein, et non simple épouse officielle de l’empereur. Pour y arriver, elle a employé tous les moyens, depuis la séduction jusqu’au meurtre en passant par la ruse. C’est l’un des personnages les plus fascinants de l’histoire chinoise ; j’ai voulu comprendre ses motivations, ses façons d’agir et l’extraordinaire caractère de cette femme, finalement très moderne, un mélange de Messaline et d’Evita Peron…
Vous créez aussi une grande passion entre un moine bouddhiste et une jeune chrétienne. Les religions occidentales tentaient-elles de s’implanter en Chine ?
Bien sûr, on a trouvé en Chine une très célèbre stèle nestorienne qui atteste de la présence de cette église chrétienne. Les églises missionnaires venues d’Occident sont entrées dans l’Empire du Milieu par la Route de la soie. Ainsi que l’avait fait, d’ailleurs, le bouddhisme, religion indienne du salut, entré en Chine par la voie des oasis du désert, pour y devenir une religion dominante. Comme toujours, les relations commerciales se doublaient de relations culturelles. Mes deux personnages auraient donc parfaitement pu exister et se rencontrer !
En quoi la soie était-elle un tel enjeu au VIIe siècle de notre ère ?
La soie était probablement considérée comme ce qu’il y avait de plus précieux sur terre, par tous ceux — et ils étaient nombreux — qui n’avaient jamais vu quelque chose d’aussi brillant et somptueux, et d’aussi doux au toucher… Sa méthode de fabrication fut longtemps aussi bien gardée qu’un secret d’État…
Dans votre roman, les puissants ont tendance à déstabiliser le monde tandis que les petits, les humbles, rattrapent les situations. Est-ce une observation tirée de votre expérience du pouvoir ?
Il est vrai que, souvent, les « conduites de pouvoir », d’ordinaire masquées ou travesties, conduisent à l’affrontement et à l’appauvrissement des hommes. Ainsi dans L’Impératrice de la Soie, on rencontre des chefs religieux dont la conduite personnelle est plus guidée par l’appétit de pouvoir que par les principes prônés par leurs églises. Mais il ne faut pas tout voir avec l’œil de la méfiance. Inversement, l’impératrice Wuzhao, femme de pouvoir s’il en est, a des côtés humains insoupçonnés…
Dans l’album qui accompagne le roman, vous expliquez que la Chine au VIIe siècle était en relation avec le monde. Quand et pourquoi s’est-elle refermée ?
La Chine s’est progressivement refermée, après l’an mil, pour se rouvrir après les années 1990, parce qu’elle a toujours considéré qu’elle était « au centre du monde » et qu’en conséquence, elle n’avait pas besoin de ce qui l’entourait. Elle s’est d’ailleurs toujours arrangée pour « digérer » les influences extérieures, à la façon d’un estomac, la nourriture….
Que signifie ce joli proverbe chinois cité par un de vos héros : « Si tu m’aimes, alors tu aimes aussi mes oiseaux » ?
J’aime beaucoup ce proverbe qui dit avec poésie que les êtres humains devraient s’efforcer d’accepter en confiance leurs différences. Dans L’Impératrice de la soie, on assiste à la confrontation entre des héros que tout sépare mais qui arrivent à construire quelque chose ensemble. Il est vrai qu’ils sont happés par un tourbillon d’intrigues qui ne leur laisse guère le choix ! Ceci dit, ce dont je suis sûr, c’est que sur la Route de la Soie, vers 650, existèrent des hommes et des femmes ressemblant trait pour trait à mes héros, habités par la soif inextinguible d’aller à la rencontre de l’autre, vers leur destin… et, pour certains d’entre eux, vers leur bonheur…