La civilisation égyptienne est née d’une vision et d’une expérience spirituelles. Pharaon, le socle de cette culture fascinante, est le « maître de l’accomplissement des rites ». L’histoire est ritualisée, jamais l’événementiel ne prend le pas sur le spirituel.
Mais pourquoi tant de cohérence et de rayonnement ? Pourquoi cette Egypte disparue demeure-t-elle si présente ? Sa durée, son art, sa magie, certes… mais tout cela repose sur l’expérience osirienne, véritable pierre de fondation de la pensée égyptienne.
Défini comme le « grand dieu » par les textes d’Abydos, sa terre sacrée où furent gravés les premiers hiéroglyphes et enterrés les premiers pharaons, Osiris fut le modèle des rois égyptiens. Lui et son épouse Isis révélèrent aux hommes toutes les valeurs, tous les arts, toutes les techniques. Pourtant, Osiris fut victime de son frère Seth, jaloux et envieux jusqu’à l’assassinat.
Mais Isis refusa la mort. Comme le proclame la première formule des Textes des Pyramides : « Tu n’es pas parti mort, tu es parti vivant. » Or, la pyramide elle-même est Osiris… Ce que la mort décompose, la connaissance et la création peuvent le réassembler. C’est pourquoi l’Egypte n’a cessé de bâtir et d’œuvrer, non seulement dans la dimension individuelle, mais aussi à la mesure d’un royaume pour lequel la célébration des mystères d’Osiris était l’acte fondamental.
Selon l’enseignement osirien, non seulement la mort n’est pas une fin mais, de plus, il est possible d’en revenir. Encore faut-il observer les prescriptions rituelles dévoilées par les textes des temples, et franchir toutes les étapes de la quête d’Isis et des mutations osiriennes… N’est-ce pas là le grand secret ?… que je révélerai dans le quatrième et dernier volume !
Sans vouloir donner au lecteur la ou les solutions des multiples énigmes de cette histoire – qui ne fait que commencer ! –, parlez-nous tout d’abord de l’époque à laquelle se passe votre roman. Comment se portait cette Égypte du Moyen Empire ?
L’Ancien Empire, l’époque de la construction des grandes pyramides, se termine par une crise dont les causes, probablement climatiques, demeurent énigmatiques. Après une période intermédiaire s’affirma le Moyen Empire, qui se compose de deux dynasties, la XIe et la XIIe – à laquelle appartient Sésostris III (vers 1878-1797 av. J.-C.). Sans nul doute, il s’agit d’un deuxième âge d’or de la civilisation égyptienne, mais beaucoup moins spectaculaire que le précédent.
La plupart des monuments ont malheureusement été détruits, et de rares témoignages, comme la célèbre « Chapelle blanche » de Karnak, ornée d’admirables hiéroglyphes, nous permettent d’entrevoir le génie des architectes qui œuvrèrent sous les Amenemhat et les Sésostris. Grande floraison littéraire, également, avec quantité d’écrits majeurs, sans cesse recopiés, tel le fameux Conte de Sinouhé.
Néanmoins, cet âge d’or, il fallut le bâtir, en se souvenant que la plus puissante dynastie avait été mortelle. Ainsi, d’une certaine manière, tout était à reconstruire… notamment une administration responsable et performante, digne de celle de l’Ancien Empire.
Sésostris III est donc arrivé au pouvoir, quels étaient ses projets ?
Sésostris III est bien connu grâce à un assez grand nombre de statues, qui traduisent un caractère austère, sévère, autoritaire, et sans illusions sur la nature humaine. Les immenses oreilles de ce géant (selon l’historien Manéthon) sont à l’écoute de la parole des dieux et des désirs de son peuple. Aussi est-il le symbole du pharaon qui ne prend jamais de repos.
Au début de son règne, Sésostris III se heurte à une grave difficulté : la quasi-indépendance de plusieurs provinces. Elles fonctionnaient de manière presque autonome, dirigées par des notables qui avaient rendu leur fonction héréditaire. Une telle dérive ne pouvait aboutir qu’à l’explosion des Deux Terres, la Haute et la Basse-Egypte, que Pharaon devait réunir pour assurer la prospérité du pays.
Un choc frontal était donc inévitable. Ou bien le pouvoir pharaonique s’affaiblissait, au risque de disparaître et d’entraîner dans sa chute toute une civilisation, ou bien les chefs de province s’inclinaient et perdaient leurs privilèges. Vu la personnalité du troisième des Sésostris et son sens de la fonction vitale qu’il remplissait, hors de question de reculer, même si la réunification exigeait une guerre civile – que le roi fera tout pour éviter.
Dans un tout autre genre, nous faisons la connaissance, tout au début du roman, d’un jeune homme tout à fait atypique… Comment le définiriez-vous ?
Iker est orphelin, recueilli par un vieux scribe dans le village de Médamoud, proche de Thèbes (Louxor). Sachant lire et écrire, le jeune homme désire devenir scribe et écrivain, pour tenter de trouver une nouvelle expression à la pensée de ses modèles, les anciens sages.
A la fois réservé et passionné, profond et impulsif, trop confiant et lucide, Iker est animé par une force dont il ignore la nature. Sa quête d’authenticité et de vérité le pousse à affronter des obstacles apparemment insurmontables. Mais de lâcheté, jamais on ne l’accusera !
Serait-il une victime expiatoire frappée par le destin ? Cette fatalité, il ne l’accepte pas, car il veut déchiffrer le mystère de sa propre existence, qui bascule soudain dans un drame lié à une affaire d’Etat. La suite des événements prouvera que rien n’était dû au hasard…
Aller jusqu’au bout, ouvrir toutes les portes, connaître la face cachée du réel, vivre un amour unique et impossible : telles sont quelques-unes des facettes de ce personnage, promis à la plus extraordinaire des aventures : la traversée de la mort.
Un troisième personnage, l’Annonciateur, diabolique celui-là, hante les déserts pour rameuter des troupes. Dans quel but ?
Tout au long de son existence, l’Egypte fut menacée par les « coureurs des sables », des bandes de pillards plus ou moins nombreuses et organisées. Le désert était considéré comme un lieu redoutable, peuplé de monstres et de créatures dangereuses.
Synthèse de toutes ces forces, l’Annonciateur est animé d’un feu destructeur dont il se sert pour tenter de tuer l’arbre de vie d’Abydos, pour empêcher Osiris de ressusciter, et pour consumer l’institution pharaonique — obstacle à l’expansion de la nouvelle croyance qu’il veut imposer au monde.
Seul interprète de Dieu, l’Annonciateur se désaltère avec le sel de Seth et se transforme en faucon-homme afin de terrasser ses adversaires. Utilisant aussi bien des Cananéens que des dignitaires égyptiens, il se pose, dans les ténèbres, en adversaire insaisissable du pharaon. C’est une civilisation qu’il veut ruiner afin de lui substituer un régime dictatorial, fondé sur une vérité absolue et définitive que nul ne saurait discuter.
Enfin, qu’est-ce que l’« arbre de vie », qui donne son nom à ce premier volume ?
Dans chaque province d’Egypte étaient vénérés un végétal en rapport avec la divinité locale, de même qu’un animal que l’on ne pouvait ni tuer ni manger. Bref, une véritable écologie sacrée.
À Abydos, l’arbre sacré d’Osiris était un acacia. Sa présence sur la butte recouvrant le tombeau du dieu prouvait le succès du processus de résurrection. Mais encore fallait-il en prendre le plus grand soin, de même, par exemple, que du saule de Dendera. L’expression « arbre de vie » est une traduction littérale de l’égyptien khet en ânkh, que l’on retrouve dans la Bible. Et cette vie est précisément celle d’Osiris, régent de l’éternité.