Présentez-nous vos cinq héros. Qui sont-ils ? D’où viennent-ils ? Et qu’ont-ils en commun ?
Les 5/5 existent, ce sont des garçons et des filles que nous connaissons tous, que nous côtoyons, nos propres enfants, leurs camarades, nos familles, nos voisins.
Parmi les membres de la petite bande, on trouve John, 12 ans, garçon né dans un corps de fille, choyé par sa famille mais confronté à l’incompréhension, voire l’hostilité d’autrui.
Far, elle, a 16 ans. C’est une jeune fille surdouée déchirée entre deux cultures, celle de ses parents épiciers qui ont fui l’Afghanistan, et celle de son pays, la France. Far ne manque de rien, sauf de liberté.
Les jumeaux Merlin et Titus, 17 ans, sont déscolarisés, travaillent dans un supermarché et sont adeptes de Parkour – ou « art du déplacement », popularisé par les Yamakasi. Leur mère, infirmière, est leur seule famille, la précarité fait partie de leur quotidien.
Quant à Tom, 13 ans, acrobate, solitaire et rebelle, il ne connaît pas le manque, si ce n’est celui de l’estime de son père.
Chacun d’eux cherche à trouver sa place dans un monde qui prône la différence mais la tolère parfois difficilement. Unis par leur soif de justice et leur goût pour les sports de rue, ils ont tous quelque chose à prouver, une blessure à soigner, une lutte à mener.
À travers les aventures palpitantes de ces jeunes justiciers, vous évoquez des problématiques liées à l’adolescence. Quelles sont-elles ?
La féminité chez les jeunes filles d’aujourd’hui est un sujet qui nous tient profondément à cœur, notamment au travers de ce discours paradoxal qui encourage à être soi-même dans une société qui n’en laisse pas toujours la possibilité – mettez des jupes, des talons, du rouge à lèvres, soyez fières d’être fille, d’être femme, mais ne vous plaignez pas
si on vous considère comme des objets, si on vous insulte…
Nous avons également voulu aborder un autre sujet, finalement très proche de cette volonté de s’affirmer : l’identité de genre chez l’enfant. C’est une question complexe, pas toujours bien comprise et admise, qui requiert une attention particulière. Nous avons souhaité l’aborder sans tomber dans le mélo psychologique ou le militantisme, sans juger ou chercher à expliquer, juste montrer que cela existe et que ce n’est pas une calamité.
John, votre héros principal, est un personnage très attachant qui vit une période de questionnement douloureux et profond. L’identité est un thème qui vous est cher ?
CW : Tout enfant, adolescent est concerné, à un moment donné, par la problématique identitaire. Cela fait appel à des sentiments profonds et personnels qu’on apprend à gérer au fil du temps.
Si vous m’aviez vue enfant, physiquement, aucun doute, vous aviez affaire à un garçon. Par hasard en regardant la télévision, des années plus tard, je suis tombé sur une petite fille qui m’a fascinée par son tempérament et sa détermination. Plus j’en apprenais sur elle, plus je me reconnaissais en elle. Shiloh est la fille d’Angelina Jolie et de Brad
Pitt. Sa maman a déclaré : « Shiloh ne se sent pas bien dans le corps d’une fille et souhaite être un garçon. Nous avons dû lui couper les cheveux. Elle s’habille comme un petit mec. On doit l’appeler John. Si nous disons : “Shiloh, veux-tu…”, elle nous interrompt avec un « John. Je m’appelle John. »
Je me sens beaucoup de points communs avec Shiloh et avec le John des 5/5.
Far, quant à elle, cette jeune fille d’origine afghane, mène un tout autre combat pour la liberté. Quel est-il ?
AP : Sans être dans la revendication, simplement en tant que femme, je m’intéresse depuis toujours à la féminité, à ce qu’elle peut provoquer en bien comme en mal, à la façon dont elle est perçue, à la fois surexploitée et méprisée. Être une fille, une femme, n’est pas facile dans un monde où le culte des apparences devient une valeur, où il faut être féminine-mais-pas-trop.
Une vidéo sur Skateistan a été le point de départ du personnage de Far. Le travail que fait cette association en Afghanistan – et ailleurs – m’a profondément bouleversée, notamment l’action faite en direction des filles pour leur permettre d’accéder comme les garçons à des espaces de liberté, par le skate, puis par l’éducation.
De là s’est développée l’idée d’une jeune fille brillante, bridée par sa culture et ses origines, qui lutte pour s’affirmer en tant que fille, femme en devenir et surtout en tant qu’être humain libre.
Vous avez eu beaucoup de succès avec vos précédentes séries. Cela a-t-il modifié votre façon de travailler ? Et selon vous, l’écrivain pour la jeunesse a-t-il un rôle particulier à jouer ?
CW : Il me paraît évident que l’on transmet, consciemment ou inconsciemment, des principes personnels, des éléments du passé et du présent que l’on partage alors sous forme d’histoire fictive. Mais 100 % de fiction, ça n’existe pas, nous écrivons selon ce que nous sommes, du plus doux au plus rugueux. Il y a des choses qui nous touchent plus personnellement, comme John par exemple, en ce qui me concerne.
AP : Comme pour n’importe quel travail, on apprend au fil du temps et de l’expérience. La passion de raconter des histoires reste la même, l’élan et le foisonnement de l’imaginaire demeurent les carburants essentiels. Mais à cette série s’est ajoutée la volonté d’aborder des faits qui indignent et révoltent la plupart d’entre nous, y compris parmi les plus jeunes : les abus de pouvoir, le cynisme de notre monde, la brutalité sociale. L’actualité nous en fournit des exemples tous les jours ! À la fiction se sont donc mêlés de nombreux éléments de non-fiction qui, hélas, jalonnent notre quotidien.