Les Templiers ont toujours été un objet de fascination, un puits de secrets et de mystères qui excite l’imagination des lecteurs… et celle des romanciers ! La chute, la disparition brutale de cet ordre à la fois militaire et religieux qui avait su s’imposer au monde pendant deux siècles est si spectaculaire qu’elle a autorisé les hypothèses les plus folles. Mais précisément, ce qui m’étonne, c’est que le début de cette longue aventure, tout aussi extraordinaire, est un peu oublié. Comment ont-ils débuté leur incroyable entreprise et qu’est-ce qui les a motivés ? Pour comprendre, il faut remonter à la première croisade de 1099. Dès que la Terre Sainte a été libérée par les Francs, une vague de pèlerinages a saisi l’Occident. Tout le monde veut subitement aller visiter les Lieux Saints et prier sur la tombe du Christ. Seulement, quoique libérée, la Terre Sainte n’est pas encore « sécurisée ». Sur les routes de Palestine, beaucoup de convois de pénitents succombent à des embuscades de pillards ou de mahométans. C’est là qu’interviennent les neuf premiers Templiers. Ce sont des chevaliers chrétiens qui renoncent à tous leurs privilèges pour assurer la défense des routes afin que les fidèles atteignent sans encombre Jérusalem. Tout part de là. Et déjà un problème s’impose : qui sont ces hommes et de quelle autorité relèvent-ils ? Personne ne le sait. Leur audace est la même que si aujourd’hui neuf hommes fortunés décidaient de leur propre chef de créer une milice privée pour occuper les fonctions de casques bleus en Irak ! Pourtant, en 1118, tout le monde les laisse faire…
Et ils réussissent, à eux neuf, à sécuriser les routes ?
Historiquement, on l’ignore, mais il est certain que dès leur installation à Jérusalem, ces hommes deviennent extrêmement puissants. Au point de faire déménager le roi de Jérusalem pour pouvoir installer leur ordre dans les ruines du Temple de Salomon ! A peine dix ans après la création de l’ordre, il est adoubé par le grand Bernard de Clairvaux et son prestige devient mondial. Le plus étrange est que lorsque les musulmans vont enfin chasser les chrétiens de la Terre sainte, les Templiers vont continuer d’exister en Europe alors que leur mission n’a plus aucune raison d’être ! Et ils vont prospérer toujours, indépendants, hors de toute autorité royale et pontificale. De quel droit ? Beaucoup ont répondu : ces neuf chevaliers ne sont jamais partis pour protéger les pèlerins, c’était une habile couverture qui les rendait libres d’exhumer à Jérusalem une relique dont la possession leur a donné un moyen de pression sans équivalent sur le Pape et sur les rois. Une relique secrète ? On leur a attribué la redécouverte du calice du Graal ou des Tables de la Loi. Mais ces hypothèses m’ont toujours déçu. Cela faisait un peu « montage » de mythes. Je restais sur ma faim. A partir du moment où je m’engageais en tant que romancier sur le terrain des Templiers, j’ai décidé que la quête de mon histoire sortirait des idées reçues, et que le but de ces neuf hommes devrait être absolument insoupçonnable pour les lecteurs !
C’est ce que vous appelez L’Éclat de Dieu ?
Oui. C’est son nom imagé, celui que lui donnent les musulmans ; pour les Templiers, entre eux, ils l’appellent plus prosaïquement la « Borne ». Les chrétiens ont toujours moins d’imagination que l’Islam. En tous cas, croyez-moi, la découverte d’un tel objet peut tout justifier : l’incroyable déploiement d’énergie et de moyens des premiers Templiers pour le découvrir, et le pouvoir démesuré dont ils auraient été détenteurs par la suite.
Mais ne vous laissez pas tromper, le mot « éclat » a plusieurs sens différents…
Comment le roman débute-t-il ?
L’Éclat de Dieu prend comme point de départ le tout premier pèlerinage encadré par les neuf chevaliers. Ceux-là ne s’appellent pas encore les Templiers mais la Milice du Christ. Leur pèlerinage part de la ville de Troyes. Peu avant le jour du départ, un des chevaliers est assassiné. Son neveu, Cosimo Gui, qui ignore tout des menées de la Milice, et même des projets de pèlerinage de son oncle, va alors se mettre à remonter la piste de son assassin. C’est à travers son enquête que le lecteur va découvrir toute l’organisation secrète des premiers Templiers et voir leur but apparaître. Un second personnage, Anx Columban, une jeune fille embarquée dans les convois, va elle nous permettre de connaître et de comprendre ce but secret et étrange. Comme dans Pardonnez nos offenses, je m’attache à ce que ce soit le lecteur qui comprenne le fin mot de l’histoire. Il est le seul, peu à peu, à regrouper toutes les informations. C’est important pour moi, j’aime ce jeu de révélations destinées au lecteur et non aux personnages. Je n’ai jamais de Hercule Poirot qui vient révéler sa vérité à la fin après avoir tout dissimulé dans son remarquable cerveau. Mon Hercule Poirot, c’est mon lecteur !
Justement votre lecteur-Hercule Poirot a du pain sur la planche ! Vous avez choisi de faire se dérouler votre histoire tour à tour dans le passé et dans le futur. Pourquoi ce mélange des genres roman historique/science-fiction ?
Parce que pour moi il n’y a pas là de mélange de genres. Je m’explique : le divorce entre les lecteurs de romans historiques et les lecteurs de science-fiction est artificiel. Ces deux mondes s’ignorent alors qu’ils reposent sur les mêmes demandes ! Le plaisir de lecture est identique : une sortie brutale du quotidien, un besoin de rêve et de distance et en même temps un souhait de retrouver des repères, des personnages voisins de soi. Depuis trente ans, la science-fiction en France a mauvaise presse et c’est compréhensible. Elle a beaucoup souffert de l’essor de la science-fiction trop élaborée, pessimiste, militante, appelée cyberpunk. Pour comprendre ce qui s’est passé, imaginez que demain tous les auteurs de roman historique deviennent des intégristes de la reconstitution, du détail d’expert, quitte à renoncer aux personnages et aux aventures : l’érudition tuerait le genre. J’ai donc voulu rapprocher deux genres qui pour moi ont toujours suscité le même plaisir, car j’aime la science-fiction légère, optimiste de Barjavel ou de Jules Verne. J’espère que ceux qui vont lire L’Éclat de Dieu pour se retrouver au Moyen-Age vont être surpris de voir que là où l’histoire se déroule en science-fiction ils sont tout aussi en sécurité et que leur curiosité est stimulée par les mêmes questions. Après tout, qu’un chevalier galope à cheval ou qu’il s’engouffre dans l’espace sur un vaisseau, si vous trépignez d’impatience de savoir où il va, le véhicule importe peu. Et la curiosité du lecteur, précisément, c’est mon boulot !
Il y a un autre motif dans votre roman, c’est le questionnement autour du Temps.
Oui. Il m’est indispensable pour conduire le lecteur au bout de cette aventure de l’Éclat de Dieu. En premier lieu, il faut noter que le Temps est sans doute l’unique notion que les hommes n’ont jamais réussi à expliquer de manière satisfaisante. En dépit de nos longs siècles de philosophie et de théologie, on assiste à un perpétuel renoncement de la part de nos plus éminents penseurs. Le Temps, on le vit mais on ne le comprend pas. Dès qu’on veut le saisir, il disparaît ! Il va falloir attendre les années 1920 pour que la science commence enfin à faire surgir des concepts de physique inattendus et qui vont dessiner un début de réponse. C’est la fameuse mécanique quantique. Là, soudain, la nature elle-même apparaît aussi étrange et aléatoire que le Temps. Ces découvertes novatrices ont permis à Bergson, entre autres, d’envisager les paradoxes du Temps avec une audace décuplée par rapport à celle d’un Saint Augustin. On peut aujourd’hui traiter ce sujet passionnant en essayant de vous faire avaler l’équation de Schrödinger, mais aussi en en faisant un véritable roman d’aventures ! N’oublions pas que les plus grands problèmes philosophiques se résument à des questions d’enfant : d’où venons-nous ? pourquoi le temps se consume-t-il dans un sens et pas dans l’autre ? Sur le Temps, Borges a été l’un des génies de la « vulgarisation » du problème. L’illogisme du monde, les paradoxes de Zénon, etc. Il les a merveilleusement mis en mots. Moi, j’ai voulu les mettre en actions !
Le roman a-t-il été long à écrire ?
J’ai démarré en 1997, mais j’ai vite arrêté parce qu’il me manquait beaucoup de « savoir-faire ». J’étais déjà très mégalo à l’époque mais pas inconscient ! J’ai donc attendu la sortie de Pardonnez nos offenses pour m’y remettre sérieusement. Entre temps, à chaque fois que j’ai rencontré une idée ou une phrase susceptible d’un rapport avec mon sujet, je l’ai notée et mise de côté. C’est un projet qui s’est conçu dans la durée. L’étape de l’écriture a été la plus délicate : j’ai dû opérer un tri déchirant dans un trop-plein d’idées et je m’y suis repris à sept fois avant de trouver la forme définitive du roman. Cela n’a pas été long (quand on s’amuse, rien ne paraît long) mais cela a été complexe. Faire simple est résolument ce qu’il y a de plus délicat. Et puis je voulais en sacrifier le moins possible. Les paradoxes de Zénon, le Dieu absent de la Kabbale juive, le Temps des particules, les reliques de la Terre Sainte, la Logique des Grecs atomisée par la science moderne, tout cela dans des péripéties de voyage, des combats et des luttes de pouvoir… je voulais tout pour le lecteur ! Sinon, à quoi bon ? Je répète souvent que je suis un saltimbanque qui s’est trouvé à sa place derrière une machine à écrire. J’écris comme on monte un spectacle et je le revendique ! Il y en a qui font des mots comme des orfèvres, la loupe à l’œil, – je les admire beaucoup – moi je préfère m’inspirer de mes frères cracheurs de feu, trapézistes ou clowns tristes. A chacun ses héros…
Pourquoi retrouve-t-on dans L’Éclat de Dieu des noms familiers, comme le nom de famille Gui, qui était déjà celui du héros de Pardonnez nos offenses ?
En effet, on pourrait dire que le héros de ce roman, Cosimo, est l’arrière-arrière grand-père de Henno Gui, le héros de Pardonnez nos offenses. Mais c’est le seul lien qui apparaît entre les deux histoires. Pour le reste, ce livre n’a pas de lien avec le précédent, et n’en a pas non plus avec les trois ou quatre prochains, où le lecteur risque cependant de retrouver ce nom de Gui, ainsi que certains lieux comme Draguan. Pour une raison précise… mais que je réserve pour l’instant.