Le Silence et la Fureur est un thriller psychologique. Il met en scène Max King, un pianiste virtuose qui ne peut plus jouer et qui vit reclus, avec sa gouvernante, sur une île perdue au beau milieu d’un lac canadien. Parlez-nous de ce personnage si tourmenté au début de votre roman.
Nicolas : Nous avions envie d’écrire sur la musique et les musiciens. Ma mère et moi avons grandi entourés de musique (ses parents, mes grands-parents, étaient de grands mélomanes). Je suis depuis devenu critique d’opéra et j’ai consacré plusieurs livres à la musique, qui est un univers complexe, lourd de sens et de mystère. Je fréquente beaucoup de musiciens, chanteurs, solistes, pianistes, etc., qui sont des gens passionnés par leur art au point d’être hantés par lui. De là à dire qu’ils sont des psychopathes en puissance, il n’y a qu’un pas ! Bien sûr je plaisante, mais il nous semblait intéressant et riche en possibilités narratives de plaquer la partition d’un thriller sur cet univers très étrange. Pour forger notre héros, Max King, nous nous sommes inspirés de la figure de Glenn Gould, ce pianiste canadien génial qui était connu pour son caractère misanthrope et les rituels (pour ne pas dire les TOC) qui rythmaient sa vie d’artiste absolu. Max King est donc un Glenn Gould qui serait passé du côté noir de la force. Un pianiste génial, mégalomane, que sa passion très narcissique pour la musique a fi ni par dévorer, en entraînant avec lui sa famille, ses proches, ses voisins. Depuis dix ans, il vit enfermé sur une île perdue au milieu d’un lac canadien, en tête à tête avec Susan, une jeune femme qui l’entretient dans ses névroses. La musique lui est devenue une souffrance intolérable et il ne peut même plus songer à la moindre note sans être pris de crises d’acouphènes.
Natalie : Ces crises sont apparues à la suite d’un événement mystérieux que les personnages du roman appellent « l’accident », sans oser le nommer autrement. Cet « accident » est la malédiction de l’île, il a bouleversé l’existence de tous ses habitants, mais pour Susan, seul Max compte. Elle a peut-être trouvé un moyen de l’arracher à sa spirale de souffrance. Il faut pour cela affronter ses plus terribles fantômes…
Depuis ce mystérieux accident, la vie de Max et de tous les habitants de l’île s’est figée. L’irruption de Luke, le fils de Max, qu’il n’a pas vu depuis dix ans, va tout bouleverser…
Nicolas : Max King vit dans le mensonge et le déni depuis dix ans. Sa femme et son fils ont fui cette île maléfique, après un terrible carnage dont personne n’a plus le droit de parler. Depuis, Max vit emmuré au milieu de ses fantômes. Et seule la réunion de cette famille, leurs retrouvailles, pourraient guérir Max de sa névrose. Mais cela implique que les masques tombent et que, hélas, le sang coule à nouveau…
Natalie : Attention, n’en dis pas trop ! Disons que dans ce roman les secrets de famille sont des secrets qui tuent ! D’une manière générale, la famille est le terreau idéal des pires atrocités… On peut tout imaginer des turpitudes familiales, on sera toujours en deçà de la vérité. N’est-ce pas, mon fils ?
Vous avez construit votre roman autour de deux voix, celle de Luke et celle de Susan. Est-ce pour renforcer le suspens de l’intrigue ?
Nicolas : C’était une contrainte narrative et technique. La juxtaposition de voix crée une tension, un rythme, une urgence. C’était également pour que chacun des deux auteurs conserve un peu son pré carré, son style, son univers, avant de tout « retricoter » ensemble ! Je me suis chargé du narrateur omniscient et ma mère des deux voix intérieures et subjectives…
Natalie : J’ai un faible pour les adolescents perturbés, il y en a dans presque tous mes scenarii. Et la voix enragée de Luke, agité intérieurement de sentiments extrêmes, crée une vraie rupture de style et de rythme dans le récit… Même si Nicolas a souvent haussé les sourcils devant son parler un peu trop « jeune » à son goût… !
Vous explorez le thème des relations familiales, et plus précisément les relations père-fils et la transmission. Est-ce facile pour une mère et un fils d’écrire sur de tels sujets ?
Nicolas : Comme je vous le disais, ce rapport s’estompe vite pour être remplacé par celui d’auteur-auteur. Beaucoup de mes amis m’ont regardé avec des yeux de hibou : « Quoi ? tu écris avec ta mère ?! » comme si ce genre de chose était totalement impensable. Ça nous a paru pourtant très naturel, et nous ne sommes sûrement pas prêts d’arrêter.
Natalie : Quant aux relations familiales, c’est précisément parce que nous « illustrons » notre objet d’étude que nous sommes crédibles, non ?
L’atmosphère du Silence et la Fureur est très oppressante. Cette île, ses paysages, sa végétation se prêtent particulièrement au thriller…
Nicolas : C’est sans doute ce qui a été le plus facile pour nous à décrire. L’archipel de Lost Lake existe sous un autre nom (et en beaucoup plus grand) à la frontière du Canada et des États-Unis, près du lac Ontario. Une grosse partie du roman a été écrite là-bas, sur une île, dans une maison à mi-chemin entre l’eau et la forêt : moi au rez-de-chaussée, ma mère à l’étage, devant la même vue… On s’attaquait chacun à un chapitre, chaque matin, puis on se l’envoyait par mail en fin de matinée pour se relire l’un l’autre.
Natalie : Cet endroit que nous décrivons dans notre livre comme un enfer angoissant est en réalité un paradis. Incroyablement sauvage et préservé, encore aujourd’hui. Mon père était américain et ses arrière-grands-parents avaient découvert l’archipel lors d’un voyage en canoë sur le Saint-Laurent, à la fin du XIXe siècle. Ils ont planté des tentes sur les îles, puis des maisons. Des cousins et amis les ont rejoints. Jusqu’à former une véritable communauté insulaire, avec ses rites immuables et ses traditions. Nous y passons l’été depuis plusieurs générations. Et nous y avons nos plus beaux souvenirs d’enfance…
Nicolas : … raison pour laquelle c’était d’autant plus intéressant de transformer ce paradis en enfer, car la nature brute, la présence de l’eau, de la forêt, des marais et de l’immensité américaine est un décor rêvé pour un thriller !
Votre roman est très cinématographique. Avez-vous des projets d’adaptation ?
Nicolas : C’est un roman très visuel, qui ferait sans doute un fort beau film… Avis aux producteurs ?
Natalie : J’adorerais que nous adaptions tous les deux pour le cinéma ce livre que nous avons écrit ensemble. La boucle serait bouclée.