Je ne les ai pas inventées, je les ai recueillies au fil de ma vie, soit qu’elles m’aient été racontées par ma famille ou par des amis, soit que je les aie entendues aux cours de mes nombreux voyages… Et je dois avouer que ce genre d’histoires, ces légendes m’ont toujours fasciné, parce qu’elles déclenchent une foule d’interrogations auxquelles il n’est pas aisé de trouver de réponses. Alors m’est venue un jour l’envie de les écrire, ne serait-ce que pour partager cette étrange fascination…
Prenons par exemple la première histoire, Le Ruban noir de lady Beresford, qui donne son titre à ce recueil : au début du XVIIIe siècle en Angleterre, une femme, jusque-là heureuse, devient brusquement inquiète et prévient son mari qu’elle portera désormais un ruban noir autour du poignet. Que lui est-il arrivé ?
Lady Beresford a été très liée dans sa jeunesse avec son frère, et ils se sont promis à cette époque que le premier qui mourrait avertirait l’autre des dangers qui pourraient éventuellement le menacer. Une nuit donc, le frère vient parler à la sœur, lui annonce qu’il est mort et que son destin à elle est dangereux si elle n’applique pas certaines règles qu’il lui énonce. Pour lui prouver la vérité de ses dires, il lui serre le poignet, laissant sur sa peau une trace indélébile qu’elle cachera dorénavant sous un large ruban noir… Hélas, lady Beresford finit par oublier cette redoutable prémonition.
C’est une histoire insolite et très documentée – puisque l’on possède le récit de Betty Cobb, sa meilleure amie – dans laquelle les morts ont le pouvoir de mettre en garde les vivants. Libre à nous d’éviter ces écueils annoncés ou de nous y précipiter, comme cette malheureuse lady Beresford…
Dans Élisabeth et Ludwig ou les Cousins maudits, Ludwig (Louis II de Bavière), mort déjà et dans d’étranges circonstances, apparaît un soir devant sa cousine et grande amie Sissi, impératrice d’Autriche, pour lui parler d’une femme qui l’a aimé et dont il ignore le nom, qui se trouve en perdition, cernée par les flammes. Il ajoute qu’il faudrait la sauver, et qu’ils se retrouveront ensuite, tous les trois, heureux au paradis… Qu’a-t-il voulu dire ?
Là, l’histoire est inverse dans la mesure où Ludwig – le mort – ne connaît pas l’identité de cette future victime qu’il aimerait tant protéger. Ce n’est que dix ans plus tard que la pauvre Sissi comprendra qu’il s’agissait de sa sœur cadette, Sophie, qui fut fiancée à Ludwig avant d’épouser Ferdinand d’Orléans, prince d’Alençon. Sissi pourra-t-elle sauver sa sœur ? Du moins, nous pouvons espérer qu’ils finiront tous, un jour, réunis au paradis !
Dans Le Fantôme de la Maison-Blanche, Wilhelmina, la reine de Hollande, est reçue par Franklin Roosevelt et sa femme en 1942. Une nuit, on frappe à la porte de sa chambre, elle ouvre, et reconnaît Abraham Lincoln, assassiné quatre-vingts ans plus tôt ! Pourquoi hante-t-il ces lieux ?
Ce malheureux Président avait deux bonnes raisons de hanter cette vaste demeure. D’abord parce qu’il a mal fini sa vie… comme chacun sait, il a été assassiné dans un théâtre. Mais surtout parce que lui-même participait à des séances de spiritisme, de voyance, et qu’il était très intéressé par la parapsychologie. Quand on se livre à ce genre d’expériences dans un lieu précis, il en reste indubitablement quelque trace… Lincoln croyait au surnaturel, comme quelques-uns de ses prédécesseurs, voire successeurs… Il n’est certes pas le seul président des États-Unis à avoir fréquenté des médiums !
Dans l’histoire suivante, Madame Mère reçoit une visite, nous sommes à Rome au début de l’année 1821, et une vieille dame, Letizia, voit apparaître chez elle un mystérieux personnage dont le visage est largement caché par un grand chapeau. Elle seule peut le reconnaître… Mais que veut-il ?
L’histoire de Madame Mère est absolument extraordinaire… C’était une femme très positive, qui avait tout à fait les pieds sur terre. Avait-elle, en plus, certains dons de voyance ? je l’ignore, mais en tout cas elle prévoyait incroyablement bien l’avenir ! Peut-être simplement parce qu’elle était logique et qu’elle voyait loin… Cette histoire met en scène Napoléon dans son rôle le plus inattendu, probablement unique dans son histoire…
Dans La Vision du roi de Suède, qui se passe à Stockholm à la fin du XVIIe siècle, le roi Charles XI aperçoit tout à coup de singulières lumières dans une salle éloignée qui devrait être déserte à cette heure tardive. Il s’y rend avec son chambellan et son médecin, et ce qu’ils voient sur place ressemble à un cauchemar : on y coupe la tête d’un homme devant une foule en délire… Que doit en déduire le roi ?
La salle est pleine en effet, des centaines d’hommes portant le deuil, des députés, la noblesse, le clergé, des paysans, et sur le trône gît un cadavre ensanglanté alors que, tout près, se tiennent un petit garçon avec un sceptre et un vieillard vêtu du manteau bleu royal… La scène est de fait effrayante ! Et tout soudain va disparaître, sauf une tache de sang sur la pantoufle du roi…
Le roi, revenu dans son cabinet, sait qu’ils n’ont pas rêvé et demande à ses compagnons de relater par écrit ce qu’ils ont vu, signe son tour le document et le range dans les archives royales. Juste avant leur départ, l’un des fantômes avait affirmé : « Le sang ne coulera pas sous votre règne… mais au cinquième règne, malheur aux Wasa ! » Effectivement, sous Gustave III, l’horreur est arrivée… Et Verdi en tirera son Bal masqué.
J’ajoute que cette histoire m’a été confirmée par les résidants actuels du Palais Royal de Stockholm… Une histoire vraiment étourdissante, dans la mesure où les fantômes eux-mêmes ne se trouvent pas dans le passé mais dans l’avenir !
Enfin, la dernière histoire, La Dame au masque, se passe dans le Norfolk en juillet 1910. Le prince Christophe vient voir sa tante, veuve depuis peu, dans son château de Sandringham. Et dans le miroir de la chambre du prince surgit tout à coup une jeune femme magnifique, le regard à peine voilé par un masque noir, et qui semble l’implorer… Qui est-elle ? Et qui est le héros de ce dernier récit ?
Elle, Dorothy, c’est une jeune mère de famille que son passé a injustement rattrapée, et qui erre de château en château à la recherche d’une compassion méritée…
Et ce dernier récit met en scène mon propre père. Il a raconté cette histoire, vécue par lui, à ma mère, qui me l’a racontée plus tard… Mon père était extrêmement intrigué par cette brusque apparition, il n’en comprenait pas le sens, jusqu’à ce que la solution lui soit donnée par le majordome d’un des châteaux où elle apparaissait : « Dorothy ne sait pas qu’elle est morte. Elle se croit encore séparée de ses enfants et victime des mauvais traitements de son mari. Elle cherche toujours à approcher le roi pour lui demander sa grâce. Elle vous est apparue parce qu’elle sait que vous êtes un proche parent de ce dernier… Elle voulait vous supplier d’intervenir en sa faveur. »
Ainsi avons-nous la preuve que ces manifestations de l’au-delà ne sont jamais gratuites, mais ont toujours un but ou un sens. Sachant qu’une authentique photographie de l’une des apparitions de Dorothy a été publiée dans Country Life le 6 décembre 1936 !
Un dernier mot : je ne demande à personne de croire à ces histoires… Je les ai sorties de ma boîte à souvenirs avec le désir de les faire connaître. Pour moi, elles sont une sorte de soupape de sécurité, d’échappatoire, d’évasion… un refuge personnel qui, peut-être, ne se trouve pas dans la fiction. Et qui sait, en écrivant ce livre, aurai-je peut-être un jour des réponses à mes questions ?