Quand on s’intéresse à la Chine, on tombe obligatoirement sur le panda géant, devenu la figure emblématique de ce pays, tout en étant le symbole de la préservation de la nature !
C’est lors d’un premier séjour en Chine, où il est envoyé en mission après des études de théologie et de botanique, que le père Armand David, originaire d’Espelette, le village des Pyrénées célèbre pour ses piments, va tomber sur une dépouille d’ursidé noir et blanc dont on ignorait l’existence en Occident et que les Chinois appellent « ours-chat ». Sans ce lazariste, qui s’empressa de signaler au Muséum d’histoire naturelle sa fabuleuse découverte, il y a fort à parier que l’espèce du panda géant aurait été décimée par la chasse et la déforestation. Je me suis inspiré de son histoire et lui ai fait vivre d’autres aventures, sous les traits du père David Etcheparre.
Votre livre est très documenté. Quelle est la part de fiction et quelle est celle de la réalité historique ? Avez-vous fait beaucoup de recherches avant d’écrire ?
L’intrigue relève de la fiction, même si, comme je l’ai dit, elle s’inspire du fait réel que fut la découverte du panda géant au mois d’avril 1869 par le père Armand David, auquel je consacre par ailleurs une postface. Cette intrigue est néanmoins parfaitement plausible. Les personnages du roman auraient pu exister. Le contexte historique a été scrupuleusement respecté. Je décris la Chine telle qu’elle était à cette époque ; il en va de même des missionnaires occidentaux, dont beaucoup étaient, comme Armand David, des savants de premier plan, et d’autres des sinologues distingués qui apportèrent énormément à la connaissance de la Chine… Je me suis beaucoup documenté, tant du côté occidental que chinois, en faisant en sorte d’être le moins prisonnier possible de mes sources… à l’exception des somptueux paysages que le père David put contempler, ayant moi-même eu la chance de marcher sur ses pas, en me rendant sur les lieux où il découvrit l’existence du panda géant.
L’un des moments forts de votre roman est incontestablement la traversée éprouvante en bateau que fait le père Etcheparre pour aller de France en Chine…
Pour se rendre en Chine, dans les années 1860, on empruntait la voie maritime, car les voies terrestres – les routes de la soie ! – avaient été progressivement abandonnées. Le canal de Suez n’étant pas encore en service, les navires devaient doubler le cap de Bonne Espérance. Tel fut le cas du Descartes, à bord duquel se trouvait le père David, qui partit de Toulon le 22 février 1862. La traversée était la première épreuve d’un long voyage initiatique, d’où le réalisme de ces pages, mon but étant d’embarquer mes lecteurs avec le père Etcheparre, ce jeune missionnaire fou de nature, dont ils vont suivre les multiples aventures en Chine.
Aux côtés du père David, il y a un autre personnage important, l’impératrice, comme l’indique le titre même de votre livre… Quel rôle joue-t-elle dans votre histoire ?
Ici intervient le romancier amoureux de la Chine ! On sait que Cixi, la célèbre impératrice douairière, était une passionnée d’animaux. Elle avait fait aménager un zoo dans la Cité interdite. Dans le roman, elle décide de faire du panda géant l’animal symbole de l’empire. C’est elle qui va ouvrir la voie aux autorités actuelles lorsqu’elles prêtent, moyennant finances, des couples de pandas géants aux pays que la Chine entend particulièrement honorer. C’est le cas, aujourd’hui, de la France, d’où la présence au zoo de Beauval d’un couple de pandas géants qui a récemment donné naissance à un bébé dont les marraines seront les premières dames des deux pays.
Parlez-nous aussi de Fleur de Sang, cette jeune Yi qui n’a pas froid aux yeux et qui vit aux confins du Sichuan, au milieu des pandas…
Issue de la minorité yi, un peuple de chasseurs-cueilleurs descendu vers l’an mille des hauts plateaux du Tibet, Fleur de Sang a la fibre écologique avant l’heure. Fille de chasseur, elle déteste la chasse. À force d’observer les pandas géants, elle est devenue incollable sur leurs mœurs. C’est elle qui va faire le lien entre le père Etcheparre et ces ursidés bicolores, qu’elle cherche à protéger, en particulier la petite femelle Pim-Pam.
Dans Le Disque de jade et L’Impératrice de la Soie, la Chine que vous nous décriviez semblait connaître une sorte d’apogée. Celle-ci, au contraire, est traversée par des troubles importants…
À l’époque où l’Occident découvre le panda géant, la Chine vient de subir les guerres de l’Opium. Le régime mandchou vacille, la révolte gronde au sein des couches populaires, l’opium y fait de terribles ravages. Mais bien que le pays soit en déliquescence, ses grands ressorts demeurent intacts. La Chine avait un genou à terre. Mais ce grand navire est insubmersible. Il suffit de voir ce qu’il a pu devenir. La Chine ne cesse de surprendre…
On ressent dans votre livre un souffle épique impressionnant. Quel but vous êtes-vous assigné en tant que romancier ?
J’ai souhaité entraîner le lecteur dans une sorte de cavalcade merveilleuse dont le panda géant est le sujet principal, mais qui va également lui permettre de découvrir l’univers de la Chine de la fin du XIXe siècle, le rôle qu’y jouaient ces hommes de foi doublés d’aventuriers qu’étaient les missionnaires occidentaux, notamment les lazaristes et les jésuites. Je raconte aussi la façon dont le monde occidental et le monde chinois se considéraient l’un l’autre, avec beaucoup d’incompréhension. On ne doit pas oublier qu’à l’époque, la Chine était perçue par les Européens comme le summum de la bizarrerie. Certains commençaient à parler du « péril jaune ». Quant à la Chine, elle se drapait dans sa dignité de grande puissance bafouée et se contentait d’aligner ses armées d’opérette face aux corps expéditionnaires occidentaux…
Comprenez-vous vraiment la fascination actuelle pour le panda ?
Notre époque a besoin de symboles fédérateurs. L’un des plus évidents est le panda géant, cette grosse peluche inoffensive – c’est un herbivore –, que tous les enfants du monde adorent, et dont le World Wild Fund, l’une des principales ONG de protection de la nature, a fait son emblème. Ayant eu la chance de me rendre dans la réserve de Bifengxia, le « sanctuaire » du panda géant, tout près du village où le père David fit sa découverte, j’ai pu mesurer à quel point ces animaux sont considérés par la Chine comme ses « trésors nationaux ».