Les premiers signes de guérison ont en fait été lents : il m’a fallu deux ans pour recommencer à marcher, et quatre ou cinq ans pour reprendre une apparence normale, ce qui a été très lourd. Je supportais très mal le regard des autres. Je ressemblais à un petit monstre. Maman m’avait retirée de l’école où les autres enfants me malmenaient. J’ai vécu des moments assez difficiles. Mais c’est vrai qu’à force d’obstination et de rééducation, en piscine et autres, j’ai retrouvé une silhouette présentable. J’ai rattrapé le temps perdu. Dire que j’ai vécu comme les autres filles de mon âge, ce serait faux… J’ai vécu à fond, en me disant : ” C’est un joker, tu ne sais pas pour combien de temps tu en as “. Puisque personne ne savait véritablement ce que j’avais eu, je n’avais pas l’assurance que cela ne reviendrait jamais. Alors j’ai fait de chaque jour un cadeau et je m’applique à vivre mes rêves à 100% tout en essayant de respecter les gens qui sont autour de moi.
En 1999, vous avez donc terminé votre roman, et vous l’avez envoyé à des éditeurs, par la poste. Comment s’est passée la suite ?
Le roman a suivi le destin classique des manuscrits envoyés par la poste, il a été refusé par plusieurs éditeurs. Et puis un jour j’ai entendu une interview de Bernard Fixot, et elle m’a donné envie de lui envoyer le livre… Il a eu un coup de cœur, nous nous sommes rencontrés, et nous avons signé ce premier contrat ! C’était étrange, un rêve un peu fou qui se réalisait et en même temps, dans un sens, je n’en avais jamais douté. J’avais l’intime conviction que c’était ça ma vraie vie : devenir un écrivain. Ensuite a commencé la partie incroyable de l’aventure, un club et plusieurs éditeurs étrangers qui s’enthousiasment…
Le Lit d’Aliénor nous raconte la jeunesse d’une Aliénor d’Aquitaine pleine de vie et dotée d’un fameux caractère. Qu’est-ce qui vous a attiré dans ce personnage historique ?
Tout ! Elle est à la fois une femme de décision, d’action, d’humour, d’amour. Elle est vraiment d’une grande modernité. Je n’aime pas cette image de femme légère dont on l’affuble parfois. Aliénor mérite mieux que ça. C’est quelqu’un qui a maîtrisé sa vie. Son duché immense et riche était à la fois un atout et une source de grande faiblesse, parce qu’il l’exposait aux convoitises des voisins ” mâles “. Elle a su s’en débrouiller. J’ai choisi de raconter la période la moins connue, celle qui précède son mariage avec Henri II d’Angleterre. Ensuite, son histoire a été chantée abondamment, aussi bien par les historiens que par les romanciers. J’ai préféré me promener là où personne n’était vraiment allé, cela m’offrait un créneau extraordinaire au sein de l’Histoire, où il y avait une place pour l’imaginaire, pour le fantastique.
Justement, le surnaturel est très présent dans Le Lit d’Aliénor, à travers votre héroïne, Loanna de Grimwald, descendante de Merlin l’Enchanteur. Comment l’idée de ce personnage vous est-elle venue ?
Comment j’ai rencontré Loanna de Grimwald ? C’est un nom qui me suit depuis que je suis toute petite. Mes premières poupées s’appelaient Loanna, les personnages de mes premières ” gribouilles ” aussi ! Lorsque je me suis installée en Aquitaine et que j’ai fait la connaissance d’Aliénor et du troubadour Jaufré Rudel, j’ai été passionnée. Puis un matin je me suis réveillée avec une belle histoire en tête et je me suis dit : ” Si seulement l’histoire de France pouvait faire une place à Loanna, ce serait formidable ! “.
C’est ainsi que Loanna est devenue la descendante de Merlin l’Enchanteur et de la fée Viviane. Sa mère, sa grand-mère, ses aïeules conseillaient les rois d’Angleterre, mais pas officiellement, elles restaient dans l’ombre, et ce depuis le roi Arthur. Loanna est donc née avec la certitude d’avoir quelque chose à accomplir, une vie imposée en quelque sorte. Elle est la dernière d’une lignée, avec tout ce que ça comporte d’obligations morales. Non seulement elle a une mission, mais elle sait, en outre, qu’après elle il n’y aura plus personne, donc elle n’a pas droit à l’erreur et doit aller jusqu’au bout. C’est quelqu’un de très déterminé et d’honnête, elle ne cherche rien pour elle-même. Elle va dans le sens de ce qu’on lui a enseigné, elle est très fidèle aux gens qu’elle aime. En même temps, c’est quelqu’un qui se cherche en permanence, qui est de partout et de nulle part. Il faut donc qu’elle trouve sa place aussi.
Pourquoi avoir ainsi choisi d’introduire Merlin l’Enchanteur dans l’Histoire ?
D’abord parce que j’ai toujours été fascinée par le roi Arthur et par Merlin, ensuite parce que les rois ont toujours eu dans leur ombre des personnages de ce type – c’est d’ailleurs encore vrai pour les dirigeants de l’époque actuelle, on en a assez parlé avec François Mitterrand. Depuis la nuit des temps, il y a eu des astrologues, des mages, des druides, des devins auprès des puissants… Il est peu probable que ça n’ait pas existé à l’époque d’Aliénor d’Aquitaine, or l’Église catholique a volontairement occulté cette partie-là de l’Histoire. Elle a remplacé les druides par les prêtres. On ne peut pas raconter un côté de l’Histoire et oublier tout le reste. J’ai donc voulu, à travers ce personnage extraordinaire de Merlin l’Enchanteur, que Loanna de Grimwald ait des racines profondes, ancrées dans l’esprit druidique, dans ce culte païen à cheval sur deux mondes. C’était la fin de ces croyances. Même si l’Église catholique s’était attachée à les détruire, il y avait des résurgences partout, dans le culte de la lune par exemple.
Le personnage du roi de France, Louis VII, est assez antipathique, à l’inverse de celui d’Henri Plantagenêt. Pourquoi ce parti pris ?
Ce n’est pas vraiment un parti pris personnel. Aux dires de tous les historiens, Louis VII était un homme qui avait épousé l’Église. Partant de là, il était difficile pour lui d’aimer une femme en dehors de la Vierge Marie. C’est vrai qu’il est devenu par la suite un bon roi pour son peuple, mais il lui a fallu du temps et à mon avis, il n’était pas prêt lorsqu’il est monté sur le trône. Il était davantage destiné à être moine. Je ne le trouve pas antipathique, c’était simplement quelqu’un qui n’était pas à sa place, donc mal dans sa peau et par conséquent mal perçu par son entourage.
A l’inverse, historiquement Henri Plantagenêt est un “personnage”. C’était un excessif, coléreux, brutal, très vivant… et très bon vivant. Effectivement c’est l’opposé de Louis. Ceci dit, les lecteurs se feront leur propre opinion, peut-être préféreront-ils Henri à Louis ou l’inverse. Aliénor a fait son choix, en fonction de ce qu’elle était elle-même, c’est-à-dire quelqu’un qui avait besoin de vie autour d’elle, qui avait ce sang bouillonnant aquitain beaucoup plus proche d’un bon vivant que d’un moine !
En dehors de l’introduction du personnage de Loanna de Grimwald, avez-vous pris beaucoup de libertés avec l’histoire ?
Non. J’ai créé d’autres personnages, mais je n’ai pas faussé l’histoire. J’ai fait un long travail de recherche, étalé sur quatre ans, qui m’a même permis d’évoquer des micro-événements de l’histoire : la capture de Loanna à Constantinople, entre autres, a été inspirée par l’enlèvement réel d’une dame de compagnie d’Aliénor d’Aquitaine par les Turcs. De même, Aliénor et les dames de compagnie ont appris à manier l’épée avant le départ en croisade contre les Turcs. Elles étaient très modernes, ces femmes, pour l’époque !
Quel sera le sujet de votre prochain roman ?
Il se passera en Auvergne à l’époque de François Ier. Je ne veux pas trop en dévoiler maintenant, car il est en cours d’écriture donc il peut encore beaucoup évoluer. J’aime quand mes personnages et l’histoire m’échappent !