Plus on avance dans votre roman, plus on découvre l’univers sombre de Mike Stilth. Vous êtes-vous inspiré de certains artistes ?
Dans mon roman, Mike Stilth est la plus grande star au monde. Acteur, chanteur, c’est un personnage mystérieux qui vit la plupart du temps reclus dans son domaine ultrasécurisé de Lost Lakes avec ses deux enfants, Noah, 10 ans et Eva, 8 ans. Les deux gamins ne connaissent rien du monde extérieur…
Pour façonner Mike, j’ai essayé d’imaginer un mélange de quelques unes des plus grandes icônes masculines du XXe siècle : Mick Jagger, pour ses excès, sa présence scénique, sa sensualité irrésistible, reptilienne ; Tom Cruise, car c’est un masque de cire, un personnage insaisissable, toujours en mouvement, dont on ne sait, en réalité, pas grand-chose. Et enfin, Michael Jackson, évidemment, pour sa vie isolée du reste du monde et ses zones d’ombre… Je vois aussi un peu Mike comme un personnage surgi d’un western crépusculaire. En 1995, quand commence mon roman, une nouvelle génération d’artistes émerge, qui explosera avec l’avènement d’Internet. Mike est un peu la dernière idole, reliquat d’un monde voué à disparaître…
Quelle vision du star-system avez-vous voulu faire passer à travers cette histoire ?
La célébrité est un sujet qui m’a toujours interpellé. Je me suis souvent interrogé sur notre rapport au pouvoir et ce qu’il changeait en nous. Que l’on soit star, homme politique ou sportif de haut niveau, quand on se retrouve tout en haut de l’affiche, qui devient-on ? Est-ce seulement possible de garder les pieds sur terre ? Dans L’Affaire Clara Miller, la célébrité est plutôt dépeinte comme une forme de malédiction… surtout à travers le regard des enfants de Mike, Noah et Eva, victimes collatérales du succès de leur père.
L’enquête est menée par Paul, une sorte de Columbo du journalisme. L’occasion de plonger dans les secrets d’une presse people que vous connaissez bien…
Paul est directement inspiré de mon expérience de journaliste. Quand j’ai commencé dans le métier, j’ai travaillé dans un magazine de la presse people. J’ai débarqué dans la rédaction, pétri d’idéaux et de beaux principes… et j’ai vite déchanté. Ça a été pour moi une expérience très éprouvante. Les planques sans fin, à filer des starlettes, les caméras cachées… et cette poursuite du scoop à tout prix, du scandale. Paul a la quarantaine un peu désenchantée. Il a laissé ses rêves au placard et cherche, peut-être, une forme de rédemption. Avec Paul, j’ai voulu créer un vrai personnage de roman noir. Comme les détectives iconiques, il a un humour acerbe, un côté bouledogue, à ne jamais rien lâcher. Mais ce n’est pas un superflic… Juste un type normal, obsédé par son enquête, prêt à tout pour comprendre ce qui est arrivé à Clara, quitte à mettre sa vie en danger. Au fond, c’est un gars attachant…
Votre roman est un récit choral qui alterne les prises de parole, à la première personne, des différents personnages. Pourquoi ce choix ?
Peut-être parce que, grâce au « je », on vit l’histoire de manière frontale, directe, avec les personnages. On est avec eux, dans leur tête, on découvre leurs états d’âme. Quant au récit choral, il me permet de multiplier les points de vue, de dresser une sorte de radiographie de la célébrité. Avec ce roman, j’ai voulu offrir aux lecteurs la possibilité de passer de l’autre côté du miroir, j’ai voulu les entraîner dans un ballet sombre, un requiem qui met en scène tous les personnages gravitant autour des stars comme autant d’insectes attirés par la lumière : d’un côté les attachées de presse, avocats, gardes du corps, de l’autre, les
fans, paparazzis, journalistes…
Parmi les livres et les films qui ont nourri votre imaginaire, quelles œuvres ont compté pour vous ?
Je suis un peu une éponge, j’absorbe beaucoup de choses à travers les livres, bien entendu, mais aussi les films et les séries. Côté littérature, L’Affaire Clara Miller est un peu mon hommage aux grandes figures du roman noir et du polar américain… Des auteurs comme Edward Bunker, James Lee Burke pour leur écriture sèche, acérée, qui va à l’essentiel. Mais aussi évidemment, James Ellroy, pour ses récits étourdissants et ultra-documentés, Dennis Lehane pour ses personnages et son humanisme… Pour le cinéma, j’ai beaucoup pensé aux films du Nouvel Hollywood. L’ombre de cinéastes comme William Friedkin, Brian De Palma, Francis Ford Coppola et Martin Scorsese plane certainement sur mon roman… J’essaie ainsi de faire honneur aux codes du roman et du fi lm noirs en dessinant une fresque sombre qui, je l’espère, me ressemble. Plus largement, L’Affaire Clara Miller prend aussi, par moments, des allures de conte gothique. On peut y trouver des échos de Barbe-Bleue, Hansel et Gretel et même un peu de Peter Pan…
Ce roman marque un changement dans votre parcours d’écrivain. Le fantastique en est absent, la réalité plus marquée. Est-ce votre souhait d’aborder par la fiction de grandes questions de société ?
Mon envie est moins de pointer du doigt certains dérèglements de nos sociétés modernes que d’interroger les lectrices et lecteurs sur certaines thématiques. À chacun, ensuite, de se faire sa propre idée, de nourrir sa propre réflexion. Le cœur de L’Affaire Clara Miller parle de notre rapport ambigu à la célébrité, notre dépendance à ces idoles, ces nouveaux dieux. Mais L’Affaire Clara Miller n’est pas qu’un exposé sur la célébrité. C’est un roman qui parle également des liens du sang, du poids du passé, des rêves brisés… Comme avec mes personnages, j’évite tout manichéisme. Il n’y a pas de blanc, ni de noir, uniquement des zones de gris. Tout fluctue, évolue. Il n’y a ni héros ni monstre. Clara, Mike, Paul et les autres naviguent en eaux troubles, comme nous tous…
Êtes-vous déjà au travail pour un nouveau roman ?
J’écris un nouveau thriller, mais dans une ambiance différente de L’Affaire Clara Miller. Au centre du roman, une petite bourgade isolée au nord de la Californie, encerclée par une nature omniprésente : l’océan déchaîné d’un côté, une forêt millénaire de l’autre. Une ville où tout le monde se connaît, régie par un quotidien millimétré, qui a toujours vécu prostrée sur elle-même. Mais depuis quelques années, des notables disparaissent les uns après les autres…