J’ai commencé à écrire des romans en 2000, à l’âge de 22 ans. Pendant sept ans, j’étais employé à la poste de Shanghai, et j’écrivais tout en travaillant. Depuis 2007, je suis devenu écrivain à plein temps. Mes livres sont écrits dans des styles différents. Dans mes romans à suspense, j’ai couvert toutes les catégories : polar fantastique, thriller, en passant par le genre gothique. J’ai également écrit un grand nombre de nouvelles et des textes purement littéraires. Nombre de mes livres ont été adaptés au cinéma et en séries télévisées. Ces dernières années, je suis revenu au domaine historique et à la littérature pure.
Votre roman commence par la mort étrange d’une lycéenne, bientôt suivie par celle de Shen Ming, professeur suspecté de l’avoir tuée. Et puis, des années plus tard, apparaît un étrange petit garçon, Si Wang… Qu’a-t-il de si particulier ?
Imaginez que vous rencontriez un mystérieux garçon qui connaît tout du monde adulte, et dont le savoir dépasse celui d’un grand intellectuel. Plus surprenant encore : sa présence rappelle un événement qui a eu lieu avant sa naissance, et que seuls, vous et une personne déjà morte, connaissez. L’enfant vous dit qu’il était cette personne dans sa vie antérieure, car il s’est réincarné avec l’ensemble des souvenirs du défunt. Ce garçon, c’est Si Wang, à la fois ange et démon. Il pourrait être votre meilleur ami ou votre plus horrible ennemi ! Dès son arrivée au monde, il ne pense qu’à accomplir une seule chose : se venger. Il trouvera toutes les personnes qu’il a connues dans sa vie antérieure, pour briser leur vie, changer leur destin, voire détruire entièrement leur existence et leur famille…
Pourquoi ce titre, La Rivière de l’Oubli ?
Un soir de juin 2012, alors que j’accompagnais ma femme pour faire des courses, une question a surgi dans mon esprit : qu’est-ce qu’un enfant a dans son cœur ? N’y a-t-il pas des secrets inimaginables pour un adulte ? Des choses qui dépassent l’expérience de vie d’une enfance, ou qui proviennent d’un autre espace-temps. Quand un enfant reste silencieux, ne serait-il pas plongé dans ses souvenirs d’une vie antérieure ? On dit en Chine qu’à partir de la mort, l’être humain doit passer par la porte des Fantômes, le sentier des sources Jaunes et juste avant d’atteindre le palais de l’au-delà, par le fleuve de l’Oubli. Après avoir traversé le fleuve de l’Oubli par le pont enjambant les eaux tumultueuses, on est prêt à se réincarner dans l’utérus d’une femme…
Tout le monde y parvient-il ?
Justement pas. À l’entrée du pont, une vieille femme nommée MengPo, se tient assise, un bol de soupe à la main. Si vous buvez cette soupe, vous pourrez traverser la rivière et oublier. À défaut, c’est une tout autre histoire… et c’est l’idée même de mon roman : le destin de quelqu’un qui, n’ayant pas avalé la soupe de MengPo, vient au monde, avec la souffrance et les regrets d’une vie antérieure, l’amour et la haine, ainsi que le souvenir d’un crime non résolu, dont il a été la victime sans avoir pu voir le visage de son assassin au moment de sa mort…
À titre personnel, que représente pour vous la réincarnation ?
Tout le monde, je crois, se pose la question : qu’est-ce que le monde après la mort ? À partir de la troisième année d’école primaire, je lisais les Chroniques de l’étrange de Pu Songling, et je n’avais aucun doute sur la véracité des histoires : après la mort, on se réincarne, et les grands méchants vont tous subir des châtiments divers… Au collège, il a fallu le matérialisme marxiste pour enfin me convaincre que la « transmigration », c’était du grand n’importe quoi. Ensuite, je me suis passionné pour toutes les réponses données par les différentes religions. Celles du bouddhisme, en particulier, qui évoque les six cercles du samsara : le paradis, le monde humain, les démons, les animaux, les faméliques et l’enfer. J’ai également beaucoup étudié le Livre tibétain de la vie et de la mort, la Bible et le Jugement dernier, le Coran et la promesse – si l’on est un bon croyant et que l’on a fait le bien – du paradis et de la vie éternelle. De toutes les croyances, en fait, il n’y a peut-être que le taoïsme qui valorise la vie et cherche la longévité, tout en considérant que le monde des fantômes est parallèle au nôtre – vous-même, n’avez-vous jamais rencontré un fantôme ?
Votre roman oscille d’ailleurs en permanence entre réalisme et fantastique. Aimez-vous que l’on parle de vous comme d’un « Stephen King chinois » ?
Stephen King est sans doute l’écrivain qui a eu le plus d’impact sur moi. Son influence ne se limite pas à l’intrigue et au style, mais aussi, et surtout, aux valeurs exprimées dans ses différents ouvrages : l’espoir dans Les Évadés, l’égalité et la liberté dans Ça, le salut dans La Ligne verte. Son style reste simple, jamais prétentieux. Il est un homme vrai, qui n’oublie pas les gens simples. Il est critique à l’égard des discriminations et des injustices de la société occidentale comme le racisme ou le sexisme.
Votre livre nous fait également découvrir une société chinoise qui, en l’espace de vingt ans, a énormément changé. Que pouvez-vous nous dire de la Chine d’aujourd’hui ?
La Chine vit une « grande époque » comme elle n’en a jamais connue au cours de son histoire. On peut aller jusqu’à dire une « grande époque », unique dans l’histoire de l’espèce humaine. On y observe la plus extrême ambition pour l’avenir, mais aussi le fossé le plus profond entre les riches et les pauvres, la cupidité la plus insatiable, la plus insupportable oppression, les directeurs d’école les plus débauchés et les plus éhontés, les enfants innocents les plus malheureux, la nourriture la plus délicieuse et la plus toxique, le corps des hommes ou des femmes le plus abusé, les chaînes de production les plus dévoreuses de chair et d’âme… J’aimerais pouvoir dessiner en détail cette « grande époque ». Dans ce roman, j’en décris quelques aspects à travers la vie fugitive de Shen Ming et la délicate jeunesse de Si Wang. Je pense d’ailleurs que cette « grande époque » sera, aussi, celle de la littérature chinoise. Pour nous, écrivains chinois, c’est une chance inouïe et inespérée.
Dans le même temps, La Rivière de l’Oubli comporte de nombreuses références culturelles occidentales. Jouent-elles un rôle important dans votre travail d’écrivain ?
L’influence de la culture occidentale dans la littérature chinoise contemporaine est beaucoup plus importante qu’on ne le croit. Ma création littéraire en témoigne avec force. On peut d’ailleurs qualifier mon travail de production « métissée ». Dans le deuxième volume de mon roman, Les Gardiens du tombeau, j’évoque le traité de Versailles de 1919 et je raconte une histoire qui se déroule entièrement en France ! D’une manière générale, je pense que, quel que soit le contexte culturel, les différentes formes de pensée humaine se rejoignent. Partout dans le monde, les gens partagent des émotions et des sentiments identiques. Toute tentative de construire un mur infranchissable entre les hommes est vouée à l’échec. Le nationalisme, le populisme et l’extrémisme effréné sont actuellement des problèmes épineux auxquels l’Europe, l’Amérique et le monde doivent faire face. La Chine semble être exempte de ces problèmes. Pour l’instant… Le jour viendra où ils prendront de l’importance.
Êtes-vous, de ce point de vue, un auteur optimiste ?
Je suis convaincu que, si l’on veut éliminer les haines et les hostilités entre des cultures différentes, la littérature aura un rôle déterminant à jouer.