La Pierre de Lumière est l’histoire d’une confrérie d’artisans et d’artistes qui vivent dans un mystérieux village et n’obéissent qu’à leurs propres lois. Or ce village existe… Comment et où en avez-vous retrouvé la trace ?
Ch. J. : Le village évoqué dans La Pierre de Lumière porte le nom moderne de Deir el-Médineh et il est situé sur la rive ouest de Thèbes (Louxor). Les Egyptiens l’appelaient Set Maât, « la Place de Vérité », le lieu où Maât, déesse de la vérité, de la justice et de l’harmonie cosmique, se révélait… Le rôle du très petit nombre d’artisans admis dans ce village fermé par de hauts murs était considéré comme essentiel par l’Etat égyptien : construire et décorer les demeures d’éternité des pharaons des XVIIIe, XIXe et XXe dynasties, autrement dit les tombes de la Vallée des Rois, l’un des sites archéologiques les plus célèbres et les plus visités.
C’est un archéologue français, Bernard Bruyère, qui a effectué l’essentiel des fouilles sur ce site dont il a compris la véritable nature : ce groupe d’artistes exceptionnels vivait là en famille. Ils disposaient de leur propre tribunal, aménageaient leurs propres tombes, étaient leurs propres prêtres et prêtresses et dépendaient directement du pharaon qui assurait leur subsistance et leur bien-être afin qu’ils puissent se consacrer exclusivement à leur art.
Par chance, une abondante documentation a été conservée, notamment un « journal » qui relatait le quotidien de cette petite communauté dont on connaît ainsi les horaires de travail, les habitudes et les aventures, heureuses ou malheureuses. Bref, un moyen de faire revivre ces êtres qui ont consacré leur vie à créer des chefs-d’œuvre que les visiteurs du monde entier viennent contempler aujourd’hui avec une intense émotion.
La Pierre de Lumière, qui comptera quatre volumes, met en scène une foule de personnages dont les principaux : Néfer, sa femme Claire, Paneb, ont un rôle déterminant dans l’histoire… Là encore, les avez-vous inventés ?
Ch. J. : Les personnages principaux ne sont pas sortis de mon imagination mais ont réellement existé. Grâce à cette documentation dont je viens de parler, nous connaissons les noms des « chefs d’équipe de droite », des « chefs d’équipe de gauche » et de la plupart de leurs « hommes d’équipage » puisque le village était comparé à un navire qui voguait sur les chemins de la création.
J’ai choisi une période troublée de l’histoire du village, qui commence dans les dernières années du règne de Ramsès II, et la succession des chefs de la confrérie est historiquement exacte. Néfer-hotep, dit « le Silencieux », son épouse Claire (en égyptien oubekhet) et Paneb dit « l’Ardent » furent effectivement des personnages majeurs de la Place de la Vérité. Non seulement la trame historique est respectée, mais l’égyptologue a murmuré à l’oreille du romancier quelques hypothèses qui permettront peut-être d’éclairer certains épisodes obscurs de cette période de l’histoire égyptienne…
La Pierre de Lumière est pour autant un roman, qui commence par un meurtre inexpliqué, avec des traîtres, des complots et de très belles histoires d’amour… Mais on apprend dans le même temps l’art et la manière de créer tous ces chefs-d’œuvre, les techniques employées… Comment avez-vous fait ?
Ch. J. : Pour l’Etat pharaonique, la construction d’une demeure d’éternité est l’acte essentiel, puisqu’il fait vivre à jamais l’âme royale. Et sans cette perspective spirituelle, aucune harmonie terrestre ne saurait être durable… La confrérie de la Place de Vérité joue donc un rôle déterminant pour le maintien de l’harmonie de Maât sur terre. C’est pourquoi je me suis intéressé aux multiples aspects de son existence, notamment à ses techniques de construction, et plus particulièrement à l’art de peindre.
Sur ces points précis, l’étude des peintures intactes, tant dans les tombes du village que dans celles de la Vallée des Rois, nous fournit de précieuses indications sur certains secrets de métier. Mais qu’auraient été ces métiers sans la mise en œuvre des mystères de “ la demeure de l’or ” qui, bien sûr, sont évoqués dans le roman ?
Etant donné d’une part les multiples rebondissements romanesques de cette histoire, et d’autre part le foisonnement d’informations que vous offrez au lecteur, avez-vous une méthode d’écriture ?
Ch. J. : Pour moi, il existe plusieurs périodes dans l’élaboration et la naissance d’un ouvrage. J’ai toujours plusieurs projets en tête, et je les laisse venir à maturation, tout en poursuivant des recherches, tant sur le terrain que dans les musées ou à travers les publications scientifiques. Et puis l’un de ces projets s’impose, avec une telle force qu’il éclipse les autres. L’événement se produit presque toujours en Egypte, sur un site, par exemple au Ramesseum, Le Temple des millions d’années de Ramsès II lorsque le désir de rédiger son épopée s’est affirmé, ou à Deir el-Médineh pour La Pierre de Lumière.
Vient alors le temps de bâtir, de donner une architecture au livre, de rencontrer les personnages et d’en parler avec mon épouse, d’entreprendre des recherches approfondies sur tel ou tel point de détail. Cette phase de « naissance » s’accompagne des premiers essais d’écriture, suivis d’un long et lent travail de mise en forme dans cette solitude habitée que connaissent bien des écrivains — solitude rigoureuse et nécessaire pour que la main du scribe puisse faire vivre de multiples destins…
Des ouvrages comme La Pierre de Lumière sont le fruit de nombreuses années de maturation au cours desquelles j’ai rempli des dossiers et suivi des pistes sans savoir si elles me mèneraient à une concrétisation. Mais lorsque la décision est prise, les éléments dispersés s’organisent et, surtout, la passion d’écrire, de donner une forme, de transmettre, devient impérative.
Et rien n’est plus difficile que de mettre un terme à une histoire que l’on a vécue avec intensité tout en sachant que, désormais, le texte vivra dans les yeux des lecteurs, de même qu’une musique vit dans les oreilles des auditeurs.
Venons-en à l’« affaire Paneb », ce colosse qui ne recule devant aucun combat tout en se révélant un merveilleux artiste !
Ch. J. : Jusqu’à une époque récente, les égyptologues considéraient Paneb comme un personnage abominable, violent, coureur de jupons, bref infréquentable… Mais l’égyptologue John Romer a remis en cause cette idée reçue, reprise ensuite de livre en livre. Constatant que Paneb avait été un créateur fabuleux, participant à la création de sept tombes royales, il a rouvert le dossier et s’est aperçu que ce dernier avait été victime de diffamations rédigées par un petit scribe jaloux qui voulait prendre sa place et n’avait pas hésité à écrire des textes mensongers sur son compte. Ce roman était donc, aussi, plus de trois mille ans après sa mort, l’occasion de réhabiliter Paneb, dit l’Ardent !
Votre dernier succès, Ramsès, s’est vendu à plus de dix millions d’exemplaires dans le monde, ce qui est extraordinaire pour un auteur français… Comment le ressentez-vous ?
Ch. J. : Je ressens ce succès, extraordinaire il est vrai, comme un artisan qui a façonné son travail avec passion, en remettant de nombreuses fois l’ouvrage sur le métier… Comment ne pas éprouver de la reconnaissance envers les éditeurs qui ont cru en mes projets, et une profonde sympathie envers mes lecteurs dont beaucoup m’ont écrit ? Grâce à eux, je peux me consacrer totalement à l’écriture et continuer à transmettre ce que l’Egypte et la vie m’ont offert.