Interview de l’auteur
Vous nous aviez habitués aux héroïnes médiévales. Quel bond dans le temps ! Nous voilà au XVIIIe siècle en plein Paris des Lumières et du libertinage auprès d’une héroïne méconnue de la plupart d’entre nous : l’épouse du Marquis de Sade… Pourquoi vous être emparée de ce personnage ?
Vous l’avez dit vous même, qui connaît la Marquise de Sade ? Que sait-on de cette femme occultée par son ténébreux, son scandaleux époux ? Et pourtant… Je l’ai croisée il y a un peu plus d’un an, par hasard, en découvrant les lettres écrites par le Marquis depuis ses prisons successives. Un étonnant mélange de tendresse, de haine, de colère, d’amour, de désir ou de répulsion. Les questions sont venues, pas les réponses. Alors je les ai cherchées. Parce que je sentais intuitivement qu’elle détenait une part de son ombre à lui. Je ne m’attendais pas à sa lumière. Je ne m’attendais pas à ce que cette oubliée de l’histoire me parle de toutes les femmes et de l’amour.
Vous retracez les tout premiers mois de leur mariage. Pourquoi vous êtes-vous intéressée particulièrement à cette période ?
Parce que tout s’est joué là, en quatre mois, avant que Sade ne devienne pour tous le Marquis. Il a vingt-trois ans, elle vingt-deux. Il l’épouse pour combler les dettes de son père et se guérir d’une profonde déception sentimentale. Elle pour plaire à sa mère. Mais elle n’est pas comme les autres femmes de son temps, ces coquettes qui tiennent salon et qui virevoltent. Elle est timide, réservée, discrète et trop prude. Ne lui a-t-on pas dit que l’acte de chair est péché ? Qu’il ne doit servir que la procréation ? Qu’on y doit satisfaire en se gardant de tout baiser, de toute caresse, et en priant ? Nous sommes devant l’alliance du feu et de la glace. Du libertin et de la dévote. L’histoire aurait pu s’arrêter là, comme tant d’autres mariages mal assortis, mais Renée Pélagie de Montreuil tombe amoureuse, éperdument et au premier regard.
Est-ce cet amour qui permet à la si prude Marquise de s’ouvrir au plaisir des sens ?
Pas de la manière dont on imagine. Dès les premiers jours de leur mariage, Donatien l’amène au théâtre, à l’opéra, lui fait découvrir les ouvrages interdits chez les Montreuil : Rousseau, Voltaire, Diderot et son Encyclopédie… Il l’ouvre à ce foisonnement qui pousse inexorablement la France vers la Révolution. Élève docile, appliquée, curieuse, éblouie par son emphase, par le respect qu’il lui manifeste jusque dans leur couche, elle s’est fait de lui un portrait idyllique.
Dans le livre, la première lettre anonyme qu’elle reçoit va la ramener de plein fouet dans la réalité, dans le sordide, avec la découverte de l’infidélité de son époux. C’est au fil de cette correspondance, de l’érotisme qui en découle, qu’elle va prendre de l’assurance et de l’esprit, qu’elle va se révéler peu à peu jusqu’à succomber à l’amour charnel, celui qui pardonne et accepte tout, celui qui fera d’elle, bien plus tard une révoltée, s’habillant en homme pour tenter de faire évader le Marquis ou sortant en cachette le manuscrit de Justine pour le faire éditer.
Comment passer d’un état de puritaine absolue à celui d’ardente complice si l’on n’aime pas autant dans sa chair que dans son âme ? D’autant, je le précise, qu’elle n’a jamais perdu ni sa foi chrétienne ni sa propre identité. C’est ce chemin là que j’ai eu envie d’explorer.
À la lecture de La Marquise de Sade, on est transporté en plein cœur du XVIIIe siècle. Comment procédez-vous pour vous immerger dans la culture et le mode d’expression d’une époque ?
Comme pour chacun de mes livres je me plonge dans les archives, les manuscrits, les biographies. Je fouille, je sonde les recoins de l’histoire, j’apprivoise ceux qui l’ont tracée. Si l’on sait peu de choses, charnellement, sur ces premiers mois du couple Donatien/Renée Pélagie, on connaît très exactement leurs caractères, leurs faits, leurs gestes, leurs relations mondaines, le contexte dans lequel ils évoluent. J’ai retranscrit tout cela fidèlement, pourtant j’ai mis la barre plus haut que d’habitude avec ce livre, d’une part parce qu’écrire sur un sujet aussi brûlant sans permettre au lecteur de s’y réchauffer me semblait inadapté, et d’autre part parce que la littérature du XVIIIe ouvrait le champ de tous les possibles. Tout en conservant mon propre style, j’ai utilisé les formes d’expression littéraires, philosophiques, érotiques et textuelles de l’époque afin d’être au plus près de Renée Pélagie, afin qu’elle nous entraîne dans son monde, celui des « liaisons dangereuses », du marivaudage, de Casanova, du discours enflammés des philosophes, de Versailles et de la Pompadour, celui du désir interdit qu’il lui fallait oser pour comprendre son époux.
Fallait-il pour autant écrire ces chroniques libertines ?
Je crois que oui. Mes lecteurs le savent bien. Lorsque j’introduis de la légende dans mes ouvrages c’est parce que cette légende fait corps avec la réalité historique. Je n’ai pas changé ma manière de procéder. Servie par le sujet autant que par son contexte, j’ai eu juste envie d’aller plus loin dans l’écriture. Plus loin que les mots, plus loin que les codes, oser l’interdit pour mieux parler d’amour. J’ai raconté cette histoire sans préjugé ni tabou, avec les mots de son époque, les mots érotiques du libertin, les mots de la pudeur, les mots du couple. Même si elle semble de prime abord fragile et aride, verrouillée par le carcan de son éducation, Renée Pélagie n’est pas différente de mes autres héroïnes. C’est une femme en devenir qui va découvrir son potentiel érotique en même temps que le pouvoir d’aimer. Cela en fera une femme libérée, forte de ses choix, de ses désirs, et tout à la fois fidèle à ses engagements, à ses convictions et à sa propre lumière. Ce sont ces quatre premiers mois de mariage qui forgeront son esprit, son caractère, et feront d’elle une véritable héroïne de l’ombre. Aller à sa rencontre me fut jubilatoire ! Parce que Renée Pélagie pourrait être moi. Dans cette quête de l’autre, elle pourrait aujourd’hui être chacune d’entre nous.
lire toute l’interview
la presse en parle
« [Un] exercice de style absolument exquis, délicieusement libertin, totalement crédible. »
Marianne Payot, L’Express
« Un petit bijou d’esprit, bien écrit, un condensé d’écritures du XVIIIe siècle. […] La langue est soignée, ciselée. »
Sud Ouest
« Un livre sensuel, élégant et divinement bien écrit. »
Femme actuelle