Mon livre montre que les interactions entre les médias et les réseaux sociaux renvoient une vision du monde qui est déformée par rapport à la réalité. Il y a un biais négatif qui recouvre deux erreurs. La première erreur, c’est de résumer le monde au réchauffement climatique, aux guerres et aux inégalités sociales. Ces problèmes existent bel et bien, mais il ne faut pas occulter les fantastiques progrès de la médecine ou de l’accès à la culture. La deuxième erreur, c’est de considérer que, face à ces défis, nous sommes démunis, ce qui est faux. Notre débat public entretient ces deux biais par l’action de trois acteurs : les médias qui, pris par la course à l’audience, attrapent leurs clients par la dramatisation ; les réseaux sociaux qui démultiplient les problèmes et les scandales ou en inventent ; les intellectuels qui critiquent tous les aspects de nos sociétés, quitte à tomber dans un dénigrement systématique.
Réseaux sociaux et information « en continu » amplifient, selon vous, l’anxiété et la colère…
Oui. Il ne s’agit pas d’un complot ou d’une mauvaise intention mais des conséquences du fonctionnement économique des chaînes d’info en continu et des réseaux sociaux. Les deux doivent capter l’attention des gens et les garder le plus longtemps possible devant leurs écrans. Or, il est très difficile d’attirer en décrivant et en analysant le monde tel qu’il est. La manière la plus efficace de le faire, c’est de mettre en scène une histoire tragique, comme un fait divers. Quant aux réseaux sociaux, ils propagent beaucoup plus rapidement les mauvaises nouvelles que les bonnes et sont également des propagateurs de fake news hyper efficaces. L’interaction entre les deux systèmes offre une image faussée de la réalité.
Les intellectuels, aussi, en prennent, c’est le moins qu’on puisse dire, pour leur grade. Vous parlez de leur « ressentiment ». Que leur reprochez-vous au juste ?
La figure de l’intellectuel français de gauche s’inscrit dans une tradition anticapitaliste et révolutionnaire. Pour elle, nos démocraties libérales ont à peu près tous les défauts et sont coupables de tous les malheurs, y compris les revenus souvent limites des intellectuels, ce qui alimente leur ressentiment. Il convient donc de « changer de système ». Pour les intellectuels, il est par exemple impensable que des solutions au réchauffement climatique existent dans un cadre capitaliste et il est encore plus impensable que la France soit, dans ce domaine, un bon élève. C’est pourtant bien le cas.
Cette « civilisation de la peur » – titre de votre livre – occulte, dites-vous, de réels progrès et des raisons objectives de croire en l’avenir. À quoi pensez-vous en particulier ?
Dans le domaine de la santé, les progrès sont exponentiels. Nous avons de solides raisons de penser qu’en 2050 mourir du cancer sera exceptionnel. On entend souvent que l’intelligence artificielle fait courir un risque existentiel à l’humanité. Quelle blague. La réalité de l’IA, c’est que, dans la santé par exemple, elle nous aide déjà énormément. Dans le domaine de l’environnement, les progrès sont plus rapides que ce qui était anticipé. Par exemple, le coût de production de l’électricité photovoltaïque est en chute libre. Dans le domaine géopolitique enfin, les valeurs des Lumières de démocraties et de libertés trouvent des défenseurs d’un courage immense, en Ukraine ou en Iran par exemple.
Ne craignez-vous pas d’être taxé de naïf, ou d’optimiste béat, à l’heure où les guerres font de nouveau rage dans le monde ?
Certainement pas. Je ne suis ni naïf ni optimiste et je considère que le réarmement militaire de l’Europe et la lutte contre l’islamisme, qui veut détruire nos sociétés, sont des priorités. Mais je suis confiant dans la capacité des démocraties libérales à relever les défis qui se présentent à elles. Le débat public cultive le dénigrement de la France. Regardez par exemple ce qui est dit des jeux Olympiques. Les médias passent leur temps à expliquer que la France n’est pas prête. Or elle le sera. J’ajoute que non seulement nous nous dénigrons abusivement, mais nous faisons comme si les pays « illibéraux » n’avaient pas de problèmes. C’est faux. Depuis le Covid, la Chine n’est pas parvenue à relancer son économie, la Turquie souffre d’hyperinflation et l’armée russe qui devait prendre Kiev en deux jours a perdu des centaines de milliers d’hommes !
Votre livre distille des conseils pour apprendre à changer de grille de lecture. Pouvez-vous nous donner quelques exemples ? Et comment, à titre personnel, agissez-vous pour contrer ces biais de négativité ?
Il faut mettre en place une éducation de l’utilisation des médias. Tout est affaire d’équilibre. Les chaînes d’information en continu sont utiles pour s’informer. Mais il faut en faire un usage raisonné. Les réseaux sociaux ne doivent être consultés que quelques dizaines de minutes par jour. Il est très important de consulter la presse écrite, notamment les hebdomadaires qui prennent du recul et sont en France d’excellente qualité. Enfin, le plus important : rien ne remplace les livres. Voilà l’hygiène informationnelle que je m’applique. Je suis aussi un amateur de statistiques que je trouve par exemple sur un site remarquable : Our World in Data. Cela permet de prendre du recul et de relativiser les problèmes.
Cet essai à contre-courant n’est-il pas d’abord un message adressé à une jeunesse désemparée qui ne veut plus faire d’enfants ?
Absolument. Notre débat public négativement biaisé amène certaines femmes à refuser d’avoir des enfants. Raisonner comme ceci, c’est acter la défaite de l’humanité. Nous avons au contraire besoin des enfants, aujourd’hui pour donner du sens à notre action, car c’est bien pour eux que nous agissons, demain pour qu’eux-mêmes agissent pour la liberté, pour la démocratie et pour la sauvegarde d’une planète habitable.