J’ai écrit une biographie historique, à qui j’ai donné autant qu’il était possible tous les critères de scientificité. J’ai donc utilisé les travaux les plus importants publiés à ce jour, faisant un état de la recherche actuelle. Bien sûr, j’ai fait des choix, arbitré dans ce que dit la recherche du point de vue historique : certaines hypothèses sont plus crédibles que d’autres. C’est un domaine dans lequel on trouve une production internationale extrêmement importante.
C’est donc une biographie historique et scientifique, augmentée d’une partie de reconstitution, de mise en scène des moments importants de la vie de Jésus.Â
Vous inscrivez-vous dans un courant particulier, une problématique historique particulière ?
Je m’inscris dans la lignée – même si cela m’impressionne de le dire – des grandes biographies historiques dont le modèle du genre est Ernest Renan. Mon ouvrage n’est pas une méditation sur Jésus, bien que je sois croyante. Le pape Benoît XVI, par exemple, a donné un très beau Jésus médité, éclairé par la recherche. Pour ma part, cherché l’homme Jésus, dans son temps et dans son milieu de vie.
Je ne me suis pas tournée vers des textes obscurs ou marginaux comme ces évangiles tardifs que l’on appelle apocryphes et à qui l’on fait dire des tas de choses. Je me suis servie des sources classiques, des Évangiles que tout le monde utilise, que tout le monde lit, tout en exerçant une forte critique historique du texte. Ce qui est extraordinaire, c’est que l’on découvre encore des choses dans ces textes que tout le monde connaît…
Pourquoi l’homme Jésus est-il inconnu ?
Les croyants s’intéressent immédiatement au Dieu et oublient que c’est un homme. Or ce qui est intéressant dans les Évangiles, c’est qu’ils décrivent d’abord un homme, que l’on trouve facilement dès lors qu’on le cherche… Un homme qui marchait sur les chemins de Galilée, qui avait chaud, qui avait soif, qui s’asseyait au bord des puits, qui parlait avec des gens… Cet homme-là est inconnu parce qu’avec Jésus, on n’arrête pas de faire des arrêts sur image : on en fait des statues, des tableaux, des vitraux, des icônes… Ici, je remets le film en marche et je le regarde agir, parler…
Dans ce portrait que vous faites de l’homme Jésus, y a-t-il un aspect provocateur, presque iconoclaste ?
D’une certaine manière, ce portrait brise un tabou. Si l’on dit que Jésus est Dieu, on se place d’emblée dans une position de crainte et de tremblement face au sacré. Or tous ses contemporains ont eu accès à lui en tant qu’homme. Ils se sont adressés à lui d’égal à égal… Et on voit bien que quand Jésus parle aux gens, il le fait simplement. On les imagine assis avec les disciples autour du feu, le soir. Dans beaucoup de scènes, la proximité est grande. Ce que les évangiles nous racontent, c’est que c’était un homme vers lequel les gens allaient et qu’ils touchaient, qu’ils pressaient. C’est cette chair de l’homme que j’ai cherchée. Il y a donc un côté charnel dans mon texte, que j’ai découvert en avançant dans mon étude. Je n’avais pas d’a priori au départ… Oui, ce portrait est iconoclaste au sens propre : il défige l’image, remet Jésus en marche !
Vous êtes connue pour avoir fondé un mouvement de défense de la place des femmes dans l’Église. En quoi cette biographie est-elle un acte militant ?
C’est un acte militant à plusieurs égards. D’abord parce que l’étude a longtemps été un domaine réservé aux hommes. Très peu de femmes s’y sont risquées. Les études ne sont ouvertes à tout le monde que depuis une quarantaine d’années. Avant, on travaillait dans les universités catholiques, dans les séminaires. Aujourd’hui, les textes sont publiés, les cours sont ouverts à tout le monde, donc le savoir s’est répandu. Je suis donc une femme qui met les pieds dans la cour des hommes, dans leur chasse gardée.
C’est un acte militant aussi parce que je considère Jésus avec le regard d’une femme. Un regard sexué. Je l’ai trouvé séduisant et je me suis laissée séduire — ce qui est un peu normal quand on fait une biographie : si on ne tombe pas un peu amoureux de son héros, on n’est pas un bon biographe.
Je me suis également intéressée à la façon dont Jésus se comportait avec les femmes, et là aussi j’ai fait de grandes découvertes. Je me suis rendue compte que les Évangiles n’ignoraient pas les femmes, mais que c’était bien notre lecture qui le faisait. Les femmes y sont en réalité au premier plan. Pour caricaturer, les disciples ne comprennent rien, sont toujours à la traîne, Jésus les gronde, les morigène, les bouscule. Ils vont poser les mauvaises questions, trahir, être renégats… Les femmes, elles, suivent Jésus, croient, comprennent. Et Jésus s’exclame : « Jamais je n’ai vu une telle foi ! » C’est également un acte militant de dénoncer la lecture androcentrée de l’Évangile.
Et le pape François, quel regard portez-vous sur lui ?
J’ai souvent le sentiment que le pape François a vu le même Jésus que moi. Il le regarde dans son humanité, s’intéresse à sa vie réelle, à son attention aux gens, à la façon dont il parle aux petits, aux pauvres, aux exclus… Et dont il enguirlande les puissants, les riches, les « sachant ».
Finalement, après deux ans de travail, quelle est l’image qui vous vient immédiatement en tête ?
La première chose que je dirais de Jésus est que je l’ai trouvé très sensuel. C’est un marcheur qui parle de son pays, de sa terre. Il regardait les oiseaux, les animaux… Aimait s’asseoir, vivre, prendre son temps. Il est aussi pétri d’humour, c’est une de ses armes. On lit toujours les textes de manière très sérieuse et compassée, en oubliant cette dimension.
De toute évidence, ce que je vois ce n’est pas Jésus en croix, mais Jésus en marche.
Des révélations sur Jésus ?
La question que tout le monde me pose est : « Alors, avait-il des frères et sœurs ? » La réponse est oui ! Bien sûr. Je ne sais pas si c’étaient les enfants de Marie, ou de Marie et Joseph. La famille de Jésus est partout dans l’Évangile.
Jésus montre des signes de détestation des fonctionnaires de la religion, et d’ailleurs ce sont eux qui le font tuer. C’est à cause de ces frictions qu’il meurt, et non pas parce qu’il s’est proclamé Messie. Il les traite littéralement de « fils de pute » ! En effet, « enfants de la prostitution » et « génération adultère » se traduisent comme cela. Il ne faut pas s’étonner qu’ils aient été furieux… C’était un juif pieux qui détestait la religion !
Son rapport avec les femmes est très surprenant pour l’époque. Elles étaient généralement confinées dans l’intimité des maisons, mais lui les considère comme des personnes à part entière. Avec lesquelles il a des conversations importantes. Cela m’a beaucoup impressionnée. (Qu’il soit célibataire à plus de trente ans est d’ailleurs très mystérieux, car cela semble impossible dans son monde. Mais nous n’avons aucun élément là -dessus.) Le personnage de Marie-Madeleine, par exemple, est manifestement très important. Parmi toutes les femmes qui entouraient Jésus, elle est dépeinte comme une amoureuse. Jusqu’au bout, puisque c’est elle qui va pleurer au tombeau. Les évangélistes sont d’accord là -dessus. Et c’est elle qui reçoit l’annonce de la résurrection. C’est un détail qu’on oublie… cette nouvelle a été confiée aux femmes !
Dernière chose : Jésus n’aime pas les riches. On parle beaucoup d’argent dans l’Évangile. Contrairement à une idée reçue, on n’y parle presque pas de sexe, mais beaucoup d’argent…