J’ai toujours eu à l’esprit d’écrire ce livre. Il s’est vraiment construit au fil des années, avec des couches et des sous-couches successives. Je n’aurais jamais pu l’écrire au début de ma carrière.
Dans un premier temps, je pensais raconter cette histoire d’amour en la situant au Moyen Âge. J’ai souvent eu le sentiment, depuis que j’étudie cette période, que ces hommes et ces femmes (plus jeunes que nous d’un millénaire) nous échappaient et nous échapperaient toujours… Comment savoir vraiment comment ils vivaient, pensaient, s’entendaient, quelles étaient leurs véritables angoisses et leurs envies ?… Il est à peu près certain qu’on se trompe énormément sur leur compte. Le gouffre entre eux et nous est trop important. Sauf sur un point. Quand leurs récits parlent de peines de coeur, quand un homme attend une femme, quand une femme est trahie par son amant, etc. Là, ces hommes et ces femmes redeviennent immédiatement nos frères et nos soeurs ! Je me suis dit alors qu’il serait plus original, au lieu de réécrire une histoire dans l’esprit de l’Amour courtois, d’imaginer un récit aujourd’hui, mais avec les codes narratifs de tous ces contes de fées et ces romans d’amour de l’époque médiévale. De la sorte, Camille et Camille de Je t’aime sont, en 2023, aussi proches de nous qu’ils le sont de Tristan et Isolde, Daphnis et Chloé ou des héros du Roman de la Rose… Puisque le solfège amoureux est toujours le même !
Cette comédie tendre et féroce raconte l’amour à l’heure de Tinder, des nouvelles formes de couple, d’une société qui se construit et se déconstruit en permanence. Avez-vous cherché à peindre l’époque avec cette histoire ?
Oui, mais en partant de ce paradoxe : c’est en se concentrant sur les choses qui ne changent pas, d’un siècle à l’autre, qu’on montre mieux la spécificité d’une époque. Aujourd’hui où les questions de sexe, de sexualité, de genres, de redéfinition du couple et des codes amoureux sont si présentes dans notre société, il n’est sans doute pas inutile de rappeler que nous sommes tous dans la même poisse amoureuse ou la même extase… La société peut bien essayer de redéfinir les relations intimes et privées autant qu’elle veut, tout le monde continue de dire « Je t’aime » de la même façon et de souffrir des mêmes chagrins… Le mythe de Tristan et Isolde le montrait déjà au XIIe siècle : l’amour se fout des règles, des lois, des serments, des genres, des classes sociales ou des communautés !
Le roman s’appelle Je t’aime, titre qui n’avait jamais été utilisé jusque-là en littérature. C’est aussi direct que votre histoire emprunte des chemins de traverse. Un vrai labyrinthe dans lequel on se balade avec bonheur. Racontez-nous cette construction très originale.
Le livre raconte l’histoire de Camille et Camille. Un couple bien d’aujourd’hui mais que vous ne croiserez jamais dans la vie… Ils vivent une histoire « parfaite », un véritable conte de fées, une version idéale (idéalisée ?) de l’amour à deux qui n’existe que dans les mythes et les contes. Pour cela, j’ai sciemment repris tous les codes du genre amoureux. Autour d’eux, au contraire, vous allez rencontrer une multitude d’autres couples, bien réels ceux-là, et bien empêtrés dans les affres des relations amoureuses…
Pas de relief sans contrastes : c’est en rapprochant ces histoires les unes des autres que le roman se déploie et s’explique.
Les auteurs médiévaux utilisaient beaucoup ce qu’ils appelaient des exempla. Souvent des courts récits ou des gravures sur ivoire qui contaient des morceaux de vie ou des actes censés frapper et instruire les fidèles. J’ai gardé ce procédé dans le roman…
La quarantaine est souvent présentée comme un virage. On jurerait que vous avez mis beaucoup de vous-même dans ce livre…
J’ai mis un peu de moi, un peu de ce que j’ai pu voir et entendre chez d’autres, un peu de ce que j’ai appris et surtout ce que j’ai souvent eu du mal à croire !… Quand Pascal dit que le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas, c’est clairement un euphémisme…
Ce roman est aussi une déambulation dans Paris qui met scène des lieux célèbres, secrets, insolites. Paris, la ville de l’amour, comme on dit dans le monde entier, reste-t-elle pour vous votre ville de cœur ?
Oui. J’ai parfois l’impression d’être un des derniers Parisiens à aimer Paris ! Mais bon, la « colère » de Paris fait partie de son charme, et de son héritage. En tout cas, cette ville est indissociable du roman, que ce soit pour la magie des lieux ou celle des noms : les jardins de l’hôtel de Sens, le square Viviani, le Jardin alpin, la rue Crémieux… Ici, Paris, c’est la carte de Tendre de Camille et Camille !
Un autre point m’a inspiré : du haut Moyen Âge jusqu’à l’âge classique, beaucoup d’histoires d’amour étaient intitulées des pastorales. Elles ne se déroulaient ni sur l’Olympe ni dans une cour royale, mais à la campagne ; elles ne traitaient ni de princes et ni de princesses, mais de jeunes pâtres et de jeunes bergères… Ces récits étaient souvent beaucoup plus libres et plus légers car pesaient moins sur eux les exigences de convenance des récits de cour. Ainsi, le lieu d’une action sentimentale était primordial aux yeux des auteurs de cette époque. Selon où se passait la rencontre entre un homme et une femme, ce n’était pas du tout la même histoire… (Même un roi à la campagne n’est plus le même qu’un roi en son château…) J’ai gardé à l’esprit cette importance du lieu et l’ai appliqué à tous les détails du livre.
L’amour, c’est entendu, est une ligne de crête, un équilibre instable qu’il n’est pas facile de maintenir. Faut-il s’en désespérer ou s’en réjouir ? Et sortirons-nous optimistes et joyeux de ces liaisons dangereuses qui tissent votre roman ?
Le livre reste volontairement ouvert. Il faudrait être fou pour vouloir conclure sur un sujet pareil !
Plus qu’un autre, ce roman sera ce que lecteur en fera… Selon nos expériences personnelles, on ne recevra pas telle ou telle histoire de la même façon. C’est un peu magique d’ailleurs : il y a toujours une part de reconnaissance dans le plaisir de la lecture.
Reviendrez-vous à vos premières amours, vos sagas historiques qui ont enchanté le public, ou ce livre inaugure-t-il un nouveau chapitre dans votre vie d’écrivain ?
Les deux. Je vais continuer la série du Notre Père, c’est certain. Le prochain s’intitulera Que votre volonté soit faite et traitera une nouvelle fois du rapport du Moyen Âge avec le merveilleux. Mais Je t’aime ne sera pas non plus un coup unique. Je suis loin d’en avoir tiré tous les fils…