Non ce livre n’est pas un retour vers les origines, il est au contraire la prolongation logique de mes romans. A travers mes personnages, je fais entrer de plain-pied le lecteur dans le monde chinois, très différent du nôtre, mais je ne l’explique pas. Il était une fois la Chine ne fait que poursuivre le défi de la découverte-plaisir : je pense qu’il est possible de découvrir une civilisation sans avoir la difficulté de l’apprentissage. On peut apprendre sans s’ennuyer, en quelque sorte. Et puis, surtout, pour comprendre la Chine d’aujourd’hui, il est absolument nécessaire de connaître son passé.
Mais 4500 ans d’histoire c’est considérable… Comment avez-vous procédé pour faciliter l’accès à cette somme d’informations ?
Tout le livre a été conçu pour être facile à lire ! Je savais qu’il fallait des textes courts, animés, des exemples évocateurs, des anecdotes vivantes. Ne pas se perdre dans le détail, aller directement aux lignes de force de l’histoire. Je me suis inspiré de la méthode inaugurée il y a vingt ans par Alain Decaux avec L’Histoire de France racontée aux enfants : l’histoire, qui peut être ennuyeuse, se fait quand des personnages hors du commun prennent le devant de la scène, et à l’occasion d’aventures extraordinaires qui font basculer les époques. L’unification de la Chine par exemple, c’est aussi l’histoire d’un simple marchand de chevaux devenu Premier ministre en faisant séduire l’Empereur par sa concubine… Et si on la raconte comme ça, l’histoire devient passionnante. C’est ce que fait aujourd’hui Jean-Joseph Julaud avec son Histoire de France pour les nuls. Avec cet objectif bien en tête, j’ai plié mon écriture à l’exercice.
Qu’est-ce qui est si fascinant dans la civilisation chinoise, selon vous ?
Le fait qu’elle ne soit pas morte ! La civilisation chinoise est l’une des plus vieilles et des plus riches de la planète, mais à la différence de l’ancienne Egypte ou des grandes monarchies mésopotamiennes, elle continue à exister et à se développer. A travers les siècles, même les empereurs d’origine mongole, qui ont dominé la Chine à deux reprises, ont tout fait pour « ressembler » à un empereur chinois. Gengis Khan, le terrible conquérant qui se faisait appeler « l’Empereur des Mers », a comme les autres été fasciné. Il était très attiré par le Tao et la recherche de l’immortalité des taoïstes. Quand il a demandé au chef de la plus grande secte taoïste le secret de la longévité, celui-ci lui a répondu : « Que votre Grandeur, malgré ses innombrables concubines, décide de dormir seul une seule nuit… cela fera plus pour prolonger sa vie que mille doses quotidiennes d’élixir de mille ans ! » Bref, la Chine est un monde impressionnant parce que, très cohérent et fermé, il a néanmoins laissé entrer les influences extérieures pour mieux les absorber, les « digérer » à la façon d’un estomac…
« Il n’y a pas de meilleur moyen d’imaginer l’avenir que de connaître le passé. », dites-vous… Est-ce pour cela que vous avez écrit ce livre, pour l’avenir ?
Comment accepter qu’un partenaire commercial déjà omniprésent dans notre vie quotidienne et dans nos médias, un pays riche d’une telle culture, fasse peur, nous soit étranger, n’éveille que défiance et incompréhension ? La Chine fait partie de notre avenir, c’est inéluctable, elle y a toute sa place. Donc il nous faut la comprendre. Et la seule façon de comprendre la Chine d’aujourd’hui, c’est d’en connaître les événements historiques, les facteurs sociaux et culturels et bien sûr les grands acteurs. Par exemple, à travers les époques, tous les dirigeants chinois ont pris pour modèle le mythique Empereur Jaune, qui aurait enseigné à son peuple l’écriture, la médecine et l’art de la fonte du bronze, trois mille ans avant notre ère, après avoir triomphé d’un horrible démon à huit pattes. L’Empereur Jaune reste une référence importante, même à l’ère de la haute technologie. La Chine est donc un pays immuable et à la fois elle est formidablement mobile puisque, après des décennies de repli sur elle-même, elle est en train de devenir une superpuissance parfaitement articulée à la globalisation du monde… Si ce livre réussit à donner des clés d’accès, je serai satisfait.
Pouvez-vous nous citer quelques-unes des figures de l’histoire chinoise ?
Il y en a beaucoup, vous l’imaginez. Je citerais volontiers le Premier Empereur, Qin Shihuangdi, un despote implacable, mais visionnaire par bien des côtés et qui unifia la Chine. Une sorte de Napoléon avant l’heure. Et puis bien sûr celui que j’appelle le dernier Empereur, Mao. Comme ses « prédécesseurs », il a dirigé la Chine d’une poigne de fer, comme eux sa façon de vivre est demeurée taboue, et comme eux, les observateurs l’ont noté, il ne pouvait se passer de son astrologue. Entre les deux, j’évoquerai Wu Zetian, la concubine devenue Empereur, ou Wei, un redoutable eunuque qui fit une guerre terrible aux lettrés au 17e siècle…
Quelles sont les différences les plus flagrantes entre nos civilisations ?
C’est au niveau des mentalités que les différences sont les plus éclatantes, car le mode de pensée et de conception du monde d’un Chinois a peu de point commun avec celui d’un Européen ou d’un Américain. Prenez le temps. Nous nous le représentons comme un sablier qui se vide, ou un fleuve qui s’écoule, bref comme quelque chose qui une fois passé ne revient pas. Nous disons « le temps perdu ». Pour les Chinois, le temps tourne comme une roue : il revient, on ne le perd pas. Autre exemple, nous avons beaucoup de mal à comprendre le Tao, ce principe d’ordre qui pour un Chinois aujourd’hui encore régit l’univers, et l’équilibre du Yin et du Yang alors que nous fonctionnons par opposition entre le Bien et le Mal. Nous ne donnons pas non plus la même place au divin dans notre société : en Chine le divin et l’humain ne sont pas séparés, tout Chinois est persuadé que le monde est mystérieux et que ce qui nous paraît « surnaturel » est normal. C’est un pays dont l’abord est pour nous très complexe, d’où l’idée de ce livre…
Selon vous, l’histoire de la Chine a dépendu pour beaucoup de sa démographie ?
Depuis la préhistoire, la Chine a toujours été le pays le plus peuplé de la planète. En comparaison, l’Europe a été, du moins jusqu’au début du vingtième siècle, un « continent vide ». Cette densité démographique unique explique son histoire, le mode de pensée de ses habitants, leur organisation sociale, leur façon d’être. Face aux innombrables tensions générées par un tel poids démographique, la société et l’Etat, très tôt, ont dû s’organiser.
Vous expliquez aussi que les dirigeants redoutent le chaos…
L’Empereur de Chine, même le plus despotique, est un souverain sous haute surveillance. Garant de l’ordre devant le peuple, tout « désordre » lui est imputé. L’Empereur est Fils du Ciel, et si le Ciel lui retire sa confiance, son mandat, alors il n’est plus digne d’être empereur. Les signes de cette indignité peuvent être une catastrophe naturelle, une famine ou encore une défaite militaire, et débouchent souvent sur des révolutions voire des coups d’Etat. Ainsi le grand soulèvement des Turbans Rouges au 14e siècle a suivi une série de famines effroyables, signe que l’empereur mongol en place n’exerçait pas convenablement le mandat céleste. Il n’est pas difficile, dans ces conditions, d’imaginer ce qui traversa la tête des hauts responsables politiques chinois lorsque l’épidémie du Sras culmina, au cours de l’année 2003 : les mesures drastiques qu’ils ont prises illustrent bien leur embarras et leur crainte devant ce qui aurait pu apparaître, si le Sras s’était répandu, comme le signe éclatant que le mandat du Ciel leur avait été retiré…