C’est une période de grande tension que connaît Horemheb après le règne désastreux d’Akhénaton. Des menaces extérieures avec les Hittites, les ancêtres des Turcs, et intérieures avec les tenants de la réforme religieuse du parti atonien. Horemheb doit faire face à des trahisons, des complots. Racontez-nous…
Même si ce constat n’est pas suffisamment souligné, nous savons aujourd’hui que le règne du mystique Akhénaton, qui avait créé une nouvelle capitale, Amarna, plongea l’Égypte dans de graves difficultés. Croyant à la toute-puissance de son dieu Aton, il se soucia peu des dangers d’invasion et des contestations intérieures. Scribe royal conscient du péril, Horemheb se préoccupa de bâtir une armée dont il devint le général en chef. Sans cette force nouvelle, impossible de défendre les frontières. Lucide, il sut que la religion d’Aton, qui n’était pratiquée qu’à Amarna, était contraire à la spiritualité égyptienne et qu’il fallait revenir à la tradition en vigueur depuis la première dynastie. Mais Horemheb ne succéda pas à Akhénaton, et il dut, sous le règne du jeune Toutânkhamon, préserver l’intégrité et la sécurité du pays en aidant le monarque à remplir sa fonction, tout en se méfiant des partisans d’Aton, toujours présents, et des atermoiements d’un courtisan rusé, Aÿ. Pendant de longues années, Horemheb fut un véritable équilibriste, obligé de voguer sur un Nil des plus agités ! Courage, rigueur et intelligence furent ses qualités premières.
Réformateur, grand bâtisseur, Horemheb a remis l’Égypte sur la voie de la grandeur, comme en témoigne le sous-titre de votre livre, « le retour de la lumière ». Quel est, selon vous, son principal héritage ?
Dans le domaine archéologique, Horemheb nous a légué sa demeure d’éternité de la Vallée des Rois et des témoignages architecturaux, essentiellement à Karnak. Dans le champ de l’écriture, outre le document juridique que nous évoquions et qui montre un sens profond de la réforme, Horemheb a très probablement écrit un livre consacré au passage des portes de l’au-delà grâce à la connaissance de « formules de transformation en lumière ». Nous sommes en présence d’un pharaon qui fut à la fois un grand chef d’État, un érudit, un diplomate qui évita la guerre, un général qui créa une force de dissuasion et un maître d’oeuvre qui embellit les temples. Et quelles que fussent le difficultés, il traça son chemin qui se confondit avec celui de son pays. À ces titres multiples, ne reste-t-il pas l’exemple d’un authentique dirigeant ?
Avec Horemheb, on mesure à quel point la magie, les rites et le surnaturel imprègnent l’exercice du pouvoir. La construction des tombeaux, en particulier, est d’une importance capitale. Quel testament ce pharaon a-t-il voulu laisser aux générations futures ?
Horemheb s’inscrit dans une tradition millénaire qui fait d’un pharaon l’intermédiaire entre le visible et l’invisible, l’humain et le divin, l’existence limitée et la vie en éternité. Après les errements d’Akhénaton, qui négligea les mystères osiriens au profit de son mysticisme individuel, Horemheb renoue avec les fondamentaux, qu’ils soient spirituels, symboliques ou magiques. Aux générations futures – à commencer par celle de Ramsès – il enseigne qu’il convient de gouverner non pour soi-même, mais pour le bien d’un pays et d’un peuple. Et cette tâche difficile passe par le contact permanent avec un idéal que les anciens Égyptiens appelaient Maât, à la fois justesse et justice.
On est frappés à la lecture de votre roman par le souci d’Horemheb d’organiser la justice sociale, de penser le bonheur des citoyens…
En tant que scribe royal, Horemheb a été éduqué en fonction d’un système de valeurs où prédominait la justice. Le faible doit être protégé du fort, l’arbitraire combattu, l’individu respecté en fonction de ses qualités. Or, le règne d’Akhénaton, autoritaire et intolérant, a en partie piétiné ces valeurs. Cette dérive a profondément inquiété Horemheb qui, en accédant au pouvoir suprême, a fermement repris la barre du navire de l’État. Réformer des lois qui s’étaient figées ne fut pas si aisé, et il fallut autant de persuasion que d’autorité pour faire aboutir de profondes réformes. Horemheb est un roi-pivot entre un ancien monde sévèrement secoué par la crise spirituelle et sociale que provoqua Akhénaton, et un monde nouveau, celui de Ramsès, auquel il insuffle un équilibre et une force dont il avait lui-même fait preuve.
Pour raconter ce fabuleux destin, vous mettez en scène, une nouvelle fois, vos personnages fétiches, le Vieux, l’âne Vent du Nord et même le chien Geb. Que symbolisent-ils dans vos écrits ?
Le Vieux symbolise la voix de la population, à la fois le bon sens, si peu fréquent, et la capacité de critiquer, parfois vertement, ce qui paraît injuste ou inadapté. Ne craignant nullement les puissants et les nantis, il affirme son expérience de la vie, avec un goût prononcé pour le vin… Vent du Nord, quadrupède exceptionnel répertorié dans le Livre de l’âne, est doté d’un instinct et d’une intuition caractéristiques des animaux, qualités que respectaient au plus haut point les anciens Égyptiens. Il voit ce que les humains ne voient pas. Encore faut-il l’écouter ! Et le Vieux, même râleur et dépité, a l’intelligence de tenir compte des
avis de Vent du Nord, messager efficace de l’invisible. Quant au chien Geb, qui porte le nom du dieu-Terre, qui joue un rôle important pour maintenir l’harmonie, il symbolise la fidélité par excellence, en tant que compagnon du quotidien auquel on peut accorder une totale confiance.
La fascination pour l’Égypte n’a jamais été aussi vive si l’on en croit le fantastique succès de l’exposition parisienne dédiée aux trésors de Toutânkhamon. Cet engouement vous a-t-il surpris ?
Je n’ai pas été surpris car, depuis la première exposition concernant l’art égyptien, au XIXe siècle, à Londres, la passion de l’Europe pour cette civilisation ne s’est pas démentie. De plus, la France, en raison de la découverte de la clé de lecture des hiéroglyphes par Champollion en 1822, de la fondation du premier musée du Caire par Mariette et de son intense activité archéologique, a un lien particulier avec l’Égypte pharaonique. La première exposition consacrée aux trésors de Toutânkhamon, à Paris, avait déjà été un grand succès, qui s’explique par la beauté des objets provenant de la seule tombe inviolée de la Vallée des Rois. Selon l’annonce officielle, c’est la dernière fois que ces chefs-d’oeuvre sortent d’Égypte, avant d’être rapatriés au nouveau grand musée, près des pyramides de Guizeh. C’était donc l’ultime occasion de les admirer sur le sol français.