La question de la santé a toujours occupé les humains. Les hommes préhistoriques pratiquaient la chirurgie et se soulageaient avec des plantes. Les dieux antiques s’occupaient beaucoup de médecine. La Renaissance a inventé la médecine scientifique. Léonard de Vinci était un immense anatomiste. À partir du xixe siècle, la technologie et l’industrie ont été mises au service de la santé. Étudier l’histoire de la médecine, c’est une entrée pour étudier l’épopée humaine et pour essayer de deviner son avenir.
Deux raisons à cela. Premièrement, je travaille depuis longtemps sur l’économie de l’innovation. Or on observe à chaque révolution industrielle que l’innovation se dirige vers la santé : les lunettes comme les vaccins ou les antibiotiques sont des avatars des révolutions industrielles. C’est aussi le cas des vaccins à ARN messager aujourd’hui ! Deuxièmement, étudier l’histoire de la santé est un moyen de réenchanter un monde qui en a bien besoin. Dans une période très anxiogène, rappelons-nous que nous sommes en train de révolutionner les traitements contre les cancers ou contre les maladies orphelines !
Les dernières décennies ont été marquées par des progrès prodigieux de la médecine. À quoi les doit-on ?
À la convergence entre le numérique, l’intelligence artificielle, la robotique et les biotechnologies. Ces techniques permettent une accélération extraordinaire du progrès dans la prévention, l’imagerie, la chirurgie, les médicaments, les vaccins… La médecine génomique, permise par la puissance des outils numériques, est une révolution qui permet déjà de sauver des enfants de maladies gravissimes. Nous devons maintenant nous organiser et dégager des financements pour pouvoir respecter notre contrat social : faire en sorte que chaque Français puisse accéder aux traitements les plus récents. C’est un fantastique défi politique.
Vous insistez beaucoup sur la nécessité de s’appuyer sur une économie dynamique pour développer une médecine de qualité, pouvez-vous nous décrire en quelques mots ce cercle vertueux ?
Comme le montre la crise actuelle, l’économie et la santé se renforcent mutuellement. Pour investir dans la santé, il faut des ressources et donc une économie dynamique. À l’inverse, la croissance économique dépend de l’état sanitaire d’un pays. On Le voit aujourd’hui. Les pays qui subissent les récessions les plus fortes sont aussi ceux qui ont la situation sanitaire la plus dégradée. L’inverse est également vrai.
L’organisation de la santé est, en soi, un sujet capital, notamment sur la question de l’accès aux soins et de la justice sociale. Quels sont, selon vous, les atouts mais aussi les faiblesses du système français ?
Le système français est très égalitaire et globalement de bonne qualité. Ainsi, nos services d’urgence sont parmi les meilleurs au monde. En revanche, notre système n’est pas adapté pour proposer aux patients les dispositifs et les médicaments les plus innovants. Là encore, la crise actuelle est un révélateur cruel. La bureaucratie, notamment à l’hôpital, freine la diffusion des meilleures pratiques de soin. Je propose des solutions concrètes à ce type de problèmes.
La santé restera-t-elle, selon vous, une affaire publique ou sera-t-elle « livrée » au marché et à une poignée de milliardaires ? Cela pose-t-il des questions de fond, et si oui lesquelles ?
Cette question se pose dans la mesure où les GAFA américains et leurs homologues chinois, les BATX, investissent ce secteur de la santé car c’est un marché immense. Ces entreprises disposent de moyens financiers, technologiques et humains qui leur permettent d’envisager de devenir de véritables acteurs de la santé dont nous serions dépendants. Le géant du numérique chinois Tencent ouvre déjà des hôpitaux. La réponse à votre question réside dans notre capacité à mettre en place une souveraineté sanitaire française ou européenne. Il ne s’agit pas seulement d’organiser la prise en charge médicale, mais d’investir en recherche et développement et de permettre à nos entreprises industrielles de santé de se développer beaucoup plus facilement qu’aujourd’hui. Là aussi, je fais des propositions précises.
Que nous apprend la crise du Covid-19 ? En quoi changera-t-elle notre rapport à la santé, au risque, à la mort ?
Cette crise accélère paradoxalement les progrès en santé. Ainsi, l’arrivée des vaccins ARN ouvre des perspectives thérapeutiques fabuleuses, notamment dans le cancer. Malheureusement, la plupart des entreprises innovantes dans ces domaines sont américaines ou chinoises. Ce problème devrait nous empêcher de dormir. Du point de vie sociétal, cette crise nous montre que notre modernité valorise plus que jamais la vie humaine, quitte à faire passer les questions économiques et sociales au second plan même si, en réalité, l’homme a toujours voulu lutter contre la mort. En revanche, il est faux de prétendre que notre époque serait particulièrement hygiéniste. Comme je le montre dans mon livre, la fin du xixe siècle L’était beaucoup plus que la période actuelle.
Comment interprétez-vous les réticences d’une partie de la population sur la vaccination ? Quel est le bon équilibre à trouver entre gestion de crise et libertés individuelles ?
Les Français entretiennent une aversion à la mondialisation libérale qui remonte à la révolution. Ils sont donc méfiants envers les laboratoires pharmaceutiques et tout ce qui s’apparente à un monnaiement de la santé. Ajoutons à cela la faible diffusion des connaissances scientifiques dans notre pays qui reste de sensibilité plutôt littéraire, contrairement à l’Allemagne ou à la Chine par exemple. Mais les semaines qui viennent de s’écouler montrent que finalement, devant la gravité de la crise, une majorité de Français souhaite se faire vacciner. Même l’écologiste radical le plus décroissant et anticapitaliste refuse rarement une chimiothérapie produite par Big Pharma le jour où il en a besoin. Par ailleurs, je suis du côté de ceux qui pensent que le problème, c’est le virus et non pas le Gouvernement. Pour le dire autrement, c’est l’épidémie qui nous enferme et non pas une volonté liberticide des États. D’ailleurs, je suis persuadé que nous retrouverons nos libertés dès que l’épidémie sera maîtrisée. C’est le vaccin qui va nous libérer !
Allons-nous, selon vous, vers une médecine plus globale, intégrant mieux qu’aujourd’hui les maladies mentales, les questions psychologiques ? Et quels sont les grands champs de recherche qui s’ouvrent devant nous ?
Absolument. La prochaine frontière, c’est le cerveau. C’est un champ de recherche immense mais nous commençons à comprendre un certain nombre de choses, en neurologie mais aussi en psychiatrie. Dans 15 ans, nous maîtriserons les cancers. Dans 30 ans, nous traiterons efficacement les maladies neurodégénératives mais aussi les troubles mentaux les plus graves. Les progrès de la science et de la technologie nous offrent aussi la possibilité de construire une médecine plus humaine où le docteur aura les moyens d’avoir une vision globale des faiblesses et des pathologies d’un patient. Il disposera de davantage de temps pour l’écouter, le conseiller, l’accompagner. En tout cas, ce doit être notre objectif.
Craignez-vous les dérives possibles du transhumanisme, de l’« homme augmenté » et de l’intelligence artificielle ?
Peut-être mais, pour l’instant, j’y vois surtout une source de progrès extraordinaires. Notre pays est toujours inquiet, il se focalise sur les risques. Mais moi ce qui m’obsède, c’est comment donner les moyens à mon pays de proposer à tous les patients qui souffrent d’un cancer un accès aux traitements les plus innovants qui vont les soigner. Nous entrons dans une ère médicale fabuleuse et pleine de promesses positives pour l’avenir.