Votre livre fourmille de faits étonnants…
… Et révélateurs ! Ainsi était-il de règle, au Moyen Ȃge, que, lorsqu’un homme était condamné à mort, il pouvait être sauvé si, sur le parcours le conduisant au lieu de son supplice, il rencontrait une jeune femme qui consentait à l’épouser. Or, selon le Journal d’un bourgeois de Paris, il arriva que, le 10 janvier 1430, un jeune et beau voleur condamné à mort quitta la prison du Châtelet, lorsqu’une jeune fille des Halles, séduite par sa belle apparence, déclara le prendre pour mari, ce qui le sauva. Inversement, on raconte que, quelques années plus tard, alors qu’un condamné picard, déjà prêt à être pendu sur le gibet, attendait qu’on lui passât la corde au cou, une jeune fille se présenta pour le sauver. L’homme la regarda, la trouva laide et boiteuse, et lança au bourreau : « Vas-y, fais ton office ! »
Longtemps, pourtant, les femmes n’ont pas eu de place, de reconnaissance officielle. Peut-on parler de pouvoir de l’ombre, et sur quoi reposait cette influence ?
Parler de « femmes de l’ombre », c’est amoindrir, il me semble, leur rôle et leur mérite puisque maîtresses, égéries ou favorites, elles se sont souvent élevées grâce à leur sensibilité et à leur culture jusqu’aux lumières de l’esprit. Beaucoup ont donné cet exemple, que ce soit Agnès Sorel qui a inculqué à Charles VII l’esprit de résistance contre les occupants anglais, ou la Pompadour qui a su régner par la suprématie de son goût et de son style et qui n’a eu de cesse de mettre en valeur dans l’entourage du roi les artistes et les écrivains. Mais comme le disait Stendhal : « L’empire des femmes est beaucoup trop grand en France, l’empire de la femme beaucoup trop restreint. »
Quelles sont ces histoires d’amour qui, selon vous, ont le plus marqué le cours de l’histoire ?
Ce qui m’a le plus fasciné dans l’histoire des amours des rois, ce sont ces quelques femmes d’exception qui ont formé leur caractère et pour ainsi dire signé leur personnalité, comme ce fut le cas, par exemple, de Diane d’Andouins en faveur d’Henri IV qui allait devenir le plus humain de nos souverains. Captivant aussi le rôle des femmes qui, sans être ni leur épouse ni leur maîtresse, ont façonné des grands rois, les rendant sensibles aux vertus de la féminité et à la grandeur de la culture. Je pense à François Ier qui fût formé entièrement par deux femmes d’exception : sa mère Louise de Savoie et sa sœur Marguerite de Navarre, notre premier grand écrivain féminin français. Sa mère dès son plus jeune âge lui a donné confiance en son destin alors qu’il n’était pas sûr du tout de devenir roi de France. Elle l’appelait « mon César ». Et que disait de lui sa sœur la « Marguerite des Marguerites » ? « En terre, il est comme en ciel le soleil ». Ainsi François de Valois, comte d’Angoulême, a-t-il été élevé entre deux femmes qui le vénéraient. Cela lui a donné une autre souveraineté, celle de régner par la culture. On doit aux femmes d’avoir donné à la France ces rois qui ont décidé de régner par la grâce de l’intelligence…
À laquelle de ces femmes va votre tendresse ?
Particulièrement à celles qui se sont distinguées par leur grande culture, qu’elles soient auteurs comme Marie de France, Christine de Pisan, Marguerite de Navarre, Louise Labé, ou mécènes comme Anne de Bretagne qui possédait une des plus belles bibliothèques de son temps.
Votre livre s’achève avec Félix Faure succombant dans les bras de sa maîtresse. Depuis, les choses ont-elles fondamentalement changé ? Pouvoir et sexe continuent-ils de ne faire qu’un ?
Oui, et c’est justement la raison pour laquelle en pleine période électorale, il est bon de porter un regard nouveau sur ces liaisons toujours dangereuses, pourtant tissées dans la tapisserie du temps.
Comme historien, mais aussi comme citoyen, estimez-vous que les territoires gagnés par les femmes ces dernières années sont encore à consolider ?
S’il y a eu un grand progrès en France dans le monde du travail pour reconnaître la place de la femme, elle reste en général sous-payée par rapport à l’homme et à statut égal souvent moins bien considérée. Pour prouver sa compétence, la femme doit redoubler d’effort. Rien n’est donc jamais gagné ! Je partage le point de vue de Françoise Giroud qui avait déclaré : « Le jour où on verra une femme incompétente exercer une fonction importante, le féminisme aura fait de grands progrès. »
Comment cet ouvrage, à la fois truculent et passionnant sur le plan historique, s’inscrit-il dans votre Å“uvre ?Â
Il s’inscrit dans la continuité de mes livres, où la femme est partout souveraine, même quand je raconte l’histoire des hommes. Déshabillons l’Histoire de France entre dans la suite logique des recherches que j’ai effectuées pour écrire les biographies de George Sand, Marie d’Agoult, la Malibran, Rosa Bonheur, sans oublier celles des Égéries russes.
Après plus de cinquante livres publiés, votre appétit d’écrire semble toujours aussi insatiable…
Sans doute suis-je un peu comme Gustave Flaubert lorsqu’il écrit : « Un sujet à traiter est pour moi comme une femme dont on est amoureux ; quand elle va vous céder, on tremble et on a peur, c’est un effroi voluptueux. » J’ai voulu que ce livre s’ouvre aux lectrices et aux lecteurs comme un coffret aux mille secrets, à l’image de ce que révèle encore magnifiquement Flaubert : « Chacun de nous a dans le cœur une chambre royale ; je l’ai murée, mais elle n’est pas détruite. »