L’idée de faire se réveiller côte à côte, un homme et une femme menottés qui ne se connaissent pas et qui n’ont plus aucun souvenir des circonstances qui les ont amenés là, est dans ma tête depuis longtemps.
J’y ai pensé pour la première fois il y a trois ans lors d’un séjour à Hong Kong. J’avais envie de me lancer une sorte de défi : plonger dès le départ mes personnages dans une situation en apparence inextricable et m’interdire tout artifice pour les en sortir. C’est-à-dire bâtir une intrigue qui ne tienne que par la rationalité et ne fasse appel à aucun ressort surnaturel comme c’était parfois le cas dans certains de mes précédents romans.
J’ai écrit rapidement le début de cette histoire, mais elle est restée pendant plus d’un an et demi dans mes tiroirs, jusqu’à ce que je trouve une idée suffisamment forte pour développer ce concept initial.
Quel a donc été le déclic pour en poursuivre l’écriture ?
Comme souvent, c’est un long travail sur les personnages qui a tout déclenché. Pour moi, une fiction forte repose autant sur les personnages que sur l’intrigue. Ce sont les personnages, leur passé, leurs traits de caractère, leur parcours qui donnent à l’histoire sa chair et son souffle. Ce sont eux qui vont générer des émotions et créer une empathie et une intimité avec le lecteur.
Dans ce cas précis, j’ai su que je tenais mon histoire lorsque j’ai écrit les pages concernant le drame personnel vécu par mon héroïne. Ce background avait même suffisamment de matière pour constituer une histoire propre. Cela a donc induit une nouvelle manière d’écrire mon roman en enchâssant des flashbacks dans le récit principal. Le lecteur découvre ainsi peu à peu le passé de l’héroïne en alternance avec l’action présente, ce qui crée un effet de double crescendo qui renforce le suspense.
Ce récit principal justement est mené en « temps réel » : l’histoire commence à Central Park à 8 heures du matin et se termine le même jour à minuit dans le Maine. Ce rythme resserré installe le lecteur au plus près de l’action des personnages. Pourquoi ce choix ?
Pour offrir aux lecteurs une expérience originale de lecture. Idéalement, Central Park est une histoire à lire dans un espace de temps très court. En condensant l’action, je voulais embarquer mon lecteur dans un « roller-coaster » émotionnel fait de rebondissements, de surprises, de suspense, de fausses pistes et de changements de direction.
Hitchcock avait une formule savoureuse pour résumer son désir d’embarquer ainsi son spectateur dans l’action : le « ménage à trois ». Avec la caméra disait-il à propos des Enchaînés : « Je donnais au public le grand privilège d’embrasser Cary Grant et Ingrid Bergman ensemble. C’était une sorte de ménage à trois temporaire. » C’est exactement ce ressenti que je cherchais à obtenir : faire en sorte que le lecteur se sente lui aussi menotté aux personnages.
La ville de New York est l’un des personnages à part entière de cette enquête en temps réel.
C’est plutôt le « terrain de jeu » sur lequel se déroule l’action. Les personnages quadrillent en effet la ville, traversant certains endroits très connus – Central Park, bien sûr, Midtown, Chelsea – et d’autres que l’on a moins l’habitude de voir dans les romans – les quais de Red Hook à Brooklyn, l’étonnant quartier grec du Queens, que l’on surnomme parfois Little Egypt… – jusqu’à ce que dans la dernière partie du roman, l’action prenne des allures de road-movie et se délocalise dans les forêts flamboyantes de la Nouvelle Angleterre.
Il est compliqué de résumer le roman tant le récit ménage de nombreuses surprises…
Le suspense, la surprise et l’imprévu sont en effet les maîtres mots de ma narration.
J’ai toujours considéré que la première qualité d’un romancier est de savoir captiver son lecteur. Or, aujourd’hui, force est de constater que la fiction romanesque est de plus en plus concurrencée par d’autres formes de fiction : le cinéma, mais surtout les séries télé et les loisirs numériques. Comme ils consomment beaucoup de fictions, les lecteurs, et le public en général, sont de plus en plus familiarisés avec certains codes. D’où ma volonté de chercher à innover à chaque roman et de proposer au lecteur une histoire avec une intrigue suffisamment dense et charpentée pour qu’il n’ait pas cette impression de « déjà lu » ou de « déjà vu ».
Vous avez souvent affirmé construire vos romans à deux niveaux de lecture : un premier où on se laisse porter par l’histoire et le suspense, et un second où vous introduisez certaines thématiques. Quels sont les thèmes traités dans Central Park ?
Ce roman est d’abord une quête sur l’identité. Dès le départ le lecteur découvre par petites touches la personnalité d’Alice et celle de Gabriel qui paraissent insaisissables. Surtout, ce sont des personnages qui s’interrogent sur leurs actes et sur eux-mêmes : qui suis-je au fond pour ne même pas me souvenir de ce que j’ai pu faire la nuit dernière ? Un autre se cache-t-il en moi ? Un double peu recommandable ?
Au fil des pages, c’est l’omniprésence du danger et la peur de l’inconnu qui vont pousser les personnages dans leurs retranchements et qui vont jouer comme des révélateurs de personnalité, les dépouillant de leurs oripeaux pour les faire apparaître dans toute leur complexité avec leurs différentes strates et leurs facettes parfois contradictoires.
Le roman est ensuite une réflexion sur le prix à payer pour découvrir la vérité. Jusqu’où est-on capable de se mettre en danger pour satisfaire notre besoin de vérité ?
Enfin, le roman est tissé autour de la paternité et de la maternité : quelles sont les émotions et les craintes présentes au moment de donner la vie ? Où commencent et où s’arrêtent nos devoirs en tant que parents dans la protection de nos enfants ? La vengeance est-elle parfois une solution pour atténuer la douleur ?
Votre thriller baigne dans le mystère. Le roman est sombre et palpitant, mais l’humour est néanmoins très présent…
Il est vrai que la situation initiale – un couple que tout oppose est forcé de cohabiter – est l’un des archétypes de la comédie romantique. Si j’ai choisi de tirer cette histoire vers le thriller, la dynamique de mes personnages, leurs antagonismes (la nonchalance de Gabriel, la détermination et l’énergie d’Alice…) émaillent le récit de dialogues humoristiques qui contribuent à renforcer l’alchimie immédiate qui émane de leur rencontre.
En tant que lecteur et que spectateur, j’ai toujours admiré les créateurs capables de marier l’humour, le suspense et la peur.
J’ai rappelé plusieurs fois ma fascination pour certains couples de cinéma créés par Hitchcock (notamment dans Fenêtre sur cour avec James Stewart et Grace Kelly), par Howard Hawks (La Dame du vendredi avec Cary Grant et Rosalind Russell) ou par Roman Polanski (Frantic avec Harrison Ford et Emmanuelle Seigner).
En littérature, Stephen King est passé maître dans l’art de manier l’humour y compris dans des histoires parfois terrifiantes. Il rejoint ainsi Hitchcock qui répétait souvent que des pauses humoristiques étaient nécessaires dans la narration des meilleurs thrillers.
La fin du roman est totalement inattendue, dénouant une trame dramatique très précise, construite comme un mécanisme d’horlogerie. Mais au-delà de l’effet de surprise c’est l’émotion qui domine et qui perdure bien après que l’on a reposé le roman. Quelles ont été les réactions des premiers lecteurs ?
Ils ont été surpris bien sûr et la plupart ont lu cette fin avec la gorge nouée. Surtout, ils m’ont persuadé d’en révéler le moins possible dans les interviews pour préserver le plaisir de lecture !
Nous sommes en 2014. Il y a dix ans, en janvier 2004, Et après… sortait en librairie inaugurant une décennie de succès. Comment avez-vous vécu cette période rare dans la vie d’un romancier ?
D’ordinaire, je ne suis pas très fan des anniversaires, mais celui-ci présente du sens à mes yeux. Vendu dans sept pays avant même sa parution en France et lancé au départ avec une mise en place modeste, Et après… a rapidement bénéficié d’un formidable bouche à oreille.
Au fil des années, le succès de cette histoire ne s’est pas démenti, transformant le roman en «long seller» : plus de deux millions d’exemplaires vendus en France, des traductions dans 24 langues, un film tourné à New York avec John Malkovich…
Surtout, cette histoire marque pour moi le début d’une belle aventure puisqu’elle sera suivie par neuf autres romans au succès comparable, m’offrant l’immense chance de faire une multitude de rencontres avec les lecteurs. Car comme le rappelle Paul Auster « un livre, c’est le seul lieu au monde où deux étrangers peuvent se rencontrer de façon intime ».