Interview de l’auteur
Après America. La Treizième Colonie, vous revenez avec votre nouveau roman, La Main rouge, sur le continent américain. Quel est le lien entre ces deux livres ?
Depuis le premier jour, je me suis arrêté à l’idée que La Treizième Colonie et La Main rouge seraient deux romans distincts. Ils forment chacun un ensemble, l’un pouvant être lu indépendamment de l’autre, et dans l’ordre souhaité. S’ils suivent deux familles sur deux générations, la seule ligne souterraine qui les unit, c’est l’histoire des colonies anglaises d’Amérique, et leur route inéluctable vers la liberté et l’indépendance. En Amérique, le XVIIIe siècle est un siècle étonnement pressé. Je ne cesse de m’étonner de tout ce qui s’y est passé et construit. C’est d’ailleurs de cette constatation qu’est née mon envie d’écrire America. Tout a commencé par une histoire de rapprochement de dates. Imaginez un homme né anglais en 1714. À dix-neuf ans, il embarque à Londres avec une centaine de pionniers et arrive dans une terre sauvage et désertique en Amérique, entre la Floride espagnole et la Caroline du Sud. Au bord du fleuve Savannah, une forêt de pins se dresse devant lui. Il aide à l’établissement du premier campement : la Géorgie et sa capitale Savannah viennent de naître ! Lorsque cet homme meurt, en 1785, la Géorgie compte des dizaines de milliers d’habitants, Savannah est une capitale prospère et notre homme a vu les colonies s’allier dans une guerre contre les Anglais et gagner leur indépendance ! Le petit Anglais meurt américain. L’homme du bas peuple britannique s’éteint libre dans un pays neuf où tous les citoyens sont reconnus égaux. Nulle part dans l’histoire (hormis les Troyens qui ont fondé Rome) ne se retrouve cette même concentration d’événements exceptionnels dans le cours d’une seule vie d’homme. J’ai voulu faire vivre ce personnage. C’est Philip Muir, le héros de La Main rouge. À ses côtés, je me suis intéressé à Henry Morgan, un pirate redoutable qui a fait amende honorable et est devenu gouverneur de la Jamaïque. Comme lui, d’autres pirates sont devenus des figures politiques ou des notables importants, surtout à New York. C’est ainsi que j’ai créé Charles Bateman.
Vous évoquez l’Amérique du XVIIIe siècle, méconnue du public hexagonal. En quoi ces pionniers dont vous dressez le portrait ont retenu l’attention du jeune romancier français que vous êtes ?
Les hommes de cette génération en Amérique me touchent particulièrement car ils portaient en eux toutes les aspirations qui sont les nôtres aujourd’hui : la liberté, le droit de jouir des efforts de son travail, la possibilité de léguer à ses enfants le fruit d’une vie, l’envie de fondre son existence dans un destin collectif. Cela nous paraît évident aujourd’hui, mais il faut se rappeler qu’en 1784, ceci n’existait nulle part dans le monde, les sociétés monarchiques dominaient, un homme était l’esclave irrévocable de sa naissance. Oserais-je dire que, objectivement, nous sommes aujourd’hui, dans l’esprit, davantage les héritiers des Fils de la Liberté de 1776 que des révolutionnaires français de 1789 ? Que la guerre d’Indépendance américaine a abouti à la liberté pour tous alors que notre Révolution s’est tôt égarée dans la tyrannie ? Que les Américains ont réussi en moins de dix ans à établir une démocratie moderne et durable alors qu’il faudra près d’un siècle à la France (trois révolutions et plus d’une demi-douzaine de régimes) pour parvenir au même résultat ? Mes héros, Philip Muir et Charles Bateman, en plein XVIIIe siècle, c’est déjà vous et moi.
Qu’est-ce qui est de l’ordre de l’histoire et de celui du roman ? Les personnages ont-ils existé ?
Les deux familles du roman sont fictives. En revanche, tout ce qui leur arrive est d’ordre historique : l’utopie caritative et « communiste » de la Géorgie pour les Muir, la Guerre de l’Oreille de Jenkins ou le congrès d’Albany de 1754 pour les Bateman. Sans parler des grands événements de la guerre d’Indépendance, comme la prise de Savannah par les Anglais en 1779. Certains des personnages sont fictifs mais si représentatifs qu’ils auraient pu exister. Depuis près de cinq ans, je me nourris de l’abondante documentation qui existe en Amérique sur ces années cruciales ; je n’ai jamais cessé de découvrir des personnages réels ou des événements totalement inattendus et extrêmement romanesques. Comme tout le monde, je croyais connaître le passé de l’Amérique. J’avais tort. On la réduit souvent à des clichés : le Mayflower, la guerre d’Indépendance, la conquête de l’Ouest, la ruée vers l’or, la guerre de Sécession. C’est aussi réducteur que de limiter notre histoire à Henri IV, Louis XIV et Napoléon ! Un contraste m’a frappé : les pages de l’histoire de France sont remplies de rois et de reines, celles de l’Amérique sont faites d’artisans, de cultivateurs et d’aventuriers. Des hommes simples qui, là encore, nous ressemblent.
La Main rouge est un roman ambitieux : le lecteur suit l’ascension de deux familles dans deux provinces très éloignées, les personnages sont nombreux et complexes. La parution du livre a été annoncée puis retardée….
On peut même dire que ce roman a bien failli ne jamais voir le jour ! J’avais commis l’erreur de commencer sa rédaction alors même que La Treizième Colonie n’était pas terminée. Cette erreur m’a été fatale. Ma trame était posée depuis longtemps, je connaissais les deux familles de mes héros, les lieux historiques m’étaient familiers : cette assurance est devenue de l’inconscience. Je ne mesurais absolument pas combien ces deux romans étaient différents, à quel point les personnages étaient autres, tant dans leurs actes que dans leurs aspirations intimes. Ceci a abouti à une version bâtarde de La Main rouge qui, achevée, ne me plaisait plus du tout. J’étais passé à côté de mon sujet et à côté de mes héros. J’ai dû tout reprendre. De la version précédente, il ne subsiste qu’un chapitre, l’intégralité des personnages secondaires a été changée, la chronologie a été revue, même les événements historiques mis en valeur ne sont plus les mêmes ! Mais le plus dur pour moi a été d’écrire dans l’angoisse. Je m’étais trompé une fois, lourdement, sans m’apercevoir à temps de mes erreurs ; rien ne me disait que je ne me fourvoyais pas une nouvelle fois ! Mes personnages souffrent beaucoup dans La Main rouge… mais j’ai souffert avec eux.
Après analyse, qu’est-ce qui vous a posé le plus de problème ?
D’abord, pour la première fois, dans La Main rouge, j’ai eu à me confronter à des personnages féminins importants. J’ai dû m’adapter. Ensuite mes héros n’étaient pas seulement des hommes jeunes et aventureux, mais des hommes mûrs et réfléchis. Je n’avais jamais accompagné un personnage de sa naissance à sa mort. Lorsqu’on raconte une histoire qui balaye plusieurs générations, la difficulté est aussi d’arriver à faire court dans la longueur et long dans la brièveté, sans briser la fluidité du récit. On doit parvenir à résumer plusieurs années en quelques lignes, puis à décrire une scène cruciale d’une heure en plusieurs pages sans que la narration soit heurtée. Le jeu entre la grande et la petite histoire, propre au roman historique, est ici décuplé ! En tous points, La Main rouge demandait à être écrit différemment de mes romans précédents. Le lecteur ne s’en apercevra certainement pas, ce ne sont que des nuances, de la « cuisine interne » comme on dit, mais pour moi, le nœud du problème se cachait là. En résumé, il faut « tenir » son roman. Ou reposer le stylo.
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la presse en parle
« (…) Une superbe fresque, entre thriller historique et saga familiale, avec en toile de fond la naissance des États-Unis. »
France Dimanche
« Roman d’aventures et odyssée historique, ce 2e opus d’America est une fabuleuse incitation au voyage. »
Télé 7 Jours
« En mélangeant le vrai et l’imaginaire, Romain Sardou, qui s’est solidement documenté, navigue de bâbord à tribord avec un vrai sens de l’action et des dialogues. »
Le Parisien