Comme une évidence. Cela faisait longtemps que je trainais un sentiment d’inachevé. Pourtant je ne voulais pas sacrifier à la pression de mes lecteurs qui espéraient la suite. Pas envie non plus de donner l’impression de faire du « commercial ». Ça peut sembler stupide mais j’ai toujours écrit les livres dont j’avais besoin quand j’en avais besoin et Aliénor et Loanna de Grimwald me hantaient de nouveau.
Est-ce que l’écriture d’ Aliénor a été souffrance ou bonheur ?
Bonheur et souffrance, au rythme de celles d’Aliénor et de sa dame de compagnie. Jamais livre ne m’a autant inspiré sinon Le lit d’Aliénor. J’ai retrouvé les mêmes sensations, la même puissance dans les images, comme si chacune d’elles vibraient en moi d’une manière particulière, comme si je les avais déjà vécues.
Nous avions quitté Aliénor reine de France et malheureuse, nous la retrouvons resplendissante, sacrée reine d’Angleterre et amoureuse… Avec toujours à ses côtés la mystérieuse Loanna de Grimwald. Que s’est-il passé ?
Aliénor a divorcé du roi de France. Oui je sais, cela peut sembler très moderne comme terme pour une femme qui a vécu au XIIème siècle. Et pourtant c’est exactement ainsi que ça s’est passé. Elle en a eu assez, assez d’un roi qui ne la touchait pas sans se punir, assez d’être empêchée de gouverner. Alors elle s’est choisi un époux à sa mesure, Henri Plantagenêt, un nouveau roi qui rêvait d’un empire à conquérir. Un empire digne des légendes du roi Arthur qui courraient alors. Et elle l’a trouvé. Avec l’aide de Loanna de Grimwald, la descendante de la lignée des grandes prêtresses d’Avalon dont l’ombre a toujours bercée l’Angleterre.
Le Chant des sorcières, La Reine de Lumière nous dépeignent des personnages hauts en couleur et surtout des personnalités de femmes hors du commun. Aliénor est d’une étonnante modernité : remariée, amoureuse, passionnée, ambitieuse, mère épanouie, femme bafouée… Elle semble avoir mille visages, et plusieurs vies en une, comme tant de femmes de notre époque ?
Toutes celles qui rêvent d’accéder aux plus hautes instances de ce pays pourraient s’inspirer d’elle croyez moi ! Elle a initié une plus grande équité entre le peuple et ses dirigeants, rabaissant le droit des puissants pour leur imposer des devoirs, favorisant les corporations, le développement et la modernisation des villes, des paroisses, elle a développé l’art sous toutes ses formes, louant les troubadours, renouant avec l’esprit de la chevalerie. Elle a dirigé un empire mais plus que tout, elle a vécu. Sans jamais baisser les bras, sans jamais renoncer à croire que l’amour doit guider la main comme la raison doit guider la tête. Elle est un exceptionnel exemple.
Histoire et légendes arthuriennes s’entremêlent dans votre roman. Comment travaillez-vous ? Comment parvenez-vous à insérer la petite histoire dans la grande ?
Parce que l’une n’existe pas sans l’autre. Sous le règne anglais d’Aliénor sont nés l’Historia Regum Britanaë» et la vita Merlini (les prophéties de Merlin) de Geoffroy de Monmouth, mais aussi tous les cycles arthuriens. Les chroniqueurs d’Henri Plantagenêt affirment qu’il a découvert le tombeau d’Arthur à Glastonbury, qu’il s’est emparé d’Excalibur et que son fils Richard a guerroyé avec avant de l’offrir au roi de Sicile. Vous rêvez de légende ? C’était leur réalité.
Votre langue est d’une grande modernité et vous réussissez à traduire l’esprit du Moyen Âge. Comment travaillez-vous ?
D’instinct. J’ai toujours travaillé d’instinct. Face à ces images, ces sentiments qui me transpercent avant que d’être de papier. C’est totalement irrationnel.
Vous avez fait le choix du roman historique. Quel regard singulier permet-il de porter sur notre monde ?
Qui oublie le passé est condamné à le revivre dit-on… Je ne veux pas oublier. Aliénor a essayé de bâtir un monde de justice, d’équité, d’équilibre. Tant qu’elle a gouverné il a perduré… J’espère seulement que mes livres permettent à beaucoup de mes lecteurs de rêver que ce monde perdu peut encore exister. De là à le croire assez pour le réinventer…
Qu’est ce qui vous attire dans cette période ?
Ce ne sont pas les périodes qui m’attirent, ce sont les êtres qui les ont vécues. Et Loanna de Grimwald comme Aliénor d’Aquitaine sont de celles qu’on ne peut oublier.