J’ai toujours été très sensible à la cause des océans, bien avant même d’avoir les mots pour l’exprimer. Enfant déjà, je ne comprenais pas pourquoi les poissons et les créatures marines étaient traités avec si peu d’égards. Pourquoi étaient-ils les seuls animaux qu’on exposait avec leurs têtes au marché ou même à table ? Comme s’ils étaient privés de toute sensation, relégués tout en bas de l’échelle de l’empathie humaine. Lorsque mes frères pêchaient, j’insistais pour qu’ils relâchent leurs prises. En grandissant, comme tout le monde, j’ai été ému par les catastrophes écologiques et les marées noires. Je voyais l’océan tout supporter, tandis qu’en continuant de nous offrir l’image de plages corses ou d’îles bretonnes idylliques. Adulte, j’ai pris conscience que l’océan est le poumon de notre planète. Pourtant, il suffoque aujourd’hui sous l’effet du réchauffement climatique, de l’acidification, de la pollution et de la surpêche. Et l’opinion se préoccupe assez peu de son sort. Je suis à la fois un amoureux des mers et un témoin inquiet.
Et le déclic a été un article dans un grand journal américain…
Oui, un matin du printemps 2023, à New York, en me rendant au bureau, j’ai lu sur mon téléphone portable une grande enquête du New York Times détaillant les pratiques de l’esclavage en mer. J’ai été sidéré. Je ne pouvais croire que de telles atrocités existaient encore dans le monde. J’ai raté ma station de métro et suis arrivé en retard au travail, bouleversé par ce que je venais de lire. Dès lors, l’image de ces hommes, retenus captifs en haute mer pendant des années, ne m’a plus quitté. En Thaïlande, on estime que 250 000 pêcheurs sont des travailleurs forcés. Je savais que je voulais faire connaître leur histoire, raconter tous ces morts anonymes et oubliés. Ce livre est l’écho que j’ai tenté de donner à leurs cris désespérés. Le cri de mon personnage, Arun, qui après une dispute avec Olivier, en Thaïlande, est pris d’un malaise et se réveille sur un matelas, prisonnier dans la cale d’un bateau de pêche… C’est aussi la voix des océans qui se meurent devant nous, avec pour seuls pleurs le bruit du sac et du ressac. C’est tout cela, Un cri dans l’océan.
Ce livre est aussi – comme le précédent, Une nuit sans aube – un grand roman d’amour, de passion, où vous semblez vous interroger, à 40 ans, sur les dérives du monde moderne, les revers de l’ambition, la recherche de sens d’une génération que l’on sent un peu désorientée…
L’amour tient une place importante dans mes romans car je pense qu’à la fin, quelle que soit sa forme, c’est toujours ce qui compte. Dans Un cri dans l’océan, j’ai voulu décrire cette quête de sens qui anime une génération consciente que quelque chose ne fonctionne plus dans notre système capitaliste, mais qui peine à s’en détacher. Avec la disparition de son conjoint, Olivier va remettre en cause ses certitudes. Lui qui ne se préoccupait ni des autres ni de l’environnement, va être contraint d’évoluer. Aidé de sa sœur Sophie – très préoccupée, elle, par l’écologie –, il se lance dans une incroyable odyssée pour retrouver Arun. Un cri dans l’océan est l’histoire d’un homme qui change.
Le choix de l’île d’Yeu pour évoquer l’enfance d’Olivier et de sa sœur Sophie, ou celui de Nice pour parler des jours heureux, répondent-ils à des souvenirs personnels ?
L’île d’Yeu et Nice occupent une place importante dans ma vie et dans mon cœur. Lorsque j’étais enfant, nous partions toujours à l’île d’Yeu au mois d’août. C’était les années quatre-vingt-dix, il n’y avait encore que quelques voitures sur l’île et tout se faisait à vélo. L’île était pour nous un royaume de liberté fabuleux. C’est aussi là que j’ai appris à naviguer. La découverte de Nice a été plus tardive. J’avais 25 ans et beaucoup d’idées préconçues. C’était pour moi une ville de gens aisés et de retraités, défigurée par le tourisme de masse. En réalité, je suis tout de suite tombé amoureux de Nice: la rencontre des montagnes et de la Méditerranée, les parfums du Sud, les lumières éclatantes… Pendant le Covid, je m’y suis réfugié en hiver. Pour ne plus la quitter. C’est dans la baie des Anges que j’ai écrit ce livre à l’hiver 2023.
En 2025, une sensibilisation internationale est organisée autour des enjeux vitaux que représentent la mer et ses ressources. Êtes-vous, vous-même, militant et comment se traduit votre engagement ?
Militant, je ne sais pas, mais, oui, je suis un défenseur de la cause des océans. Je nage beaucoup et navigue souvent, alors si je vois des déchets plastiques, je vais les ramasser. Au port de Nice, j’ai aussi la chance de posséder, comme tante Marthe dans mon livre, un petit pointu. J’ai fait retirer le moteur thermique et l’ai remplacé par un moteur électrique, ce qui n’a pas été jugé très orthodoxe par mes amis marins mais, au moins, je n’émets plus ni de son ni de pollution dans la baie des Anges. J’ai bien conscience que ces gestes restent anecdotiques face à l’urgence absolue à laquelle l’humanité est confrontée, mais j’espère que ce livre pourra éveiller les consciences.
Pensez-vous que la littérature et la fiction ont un rôle à jouer dans ce combat ?
Plus que jamais. C’est une chose de convaincre, c’est une autre de persuader. Et les deux sont nécessaires. Convaincre fait appel à la raison, à des arguments logiques. Persuader fait appel aux émotions, aux sentiments et à l’imagination. La poésie peut toucher l’âme, prendre le relais quand les faits ne suffisent plus. Lorsque j’ai parlé de ce projet à mon éditeur, je lui ai dit que je voulais écrire un livre sur les océans qui ne soit ni un essai culpabilisateur ni une dystopie anxiogène, mais un récit avec des personnages auxquels chacun pourrait s’identifier. Je ne sais pas si j’y suis parvenu, mais c’était mon intention.
Un cri dans l’océan est un roman dur et en même temps très poétique, avec des allers-retours, des changements de points de vue. Comment l’avez-vous écrit ?
Je fais toujours des allers-retours entre le passé et le présent en alternant de courts chapitres pour créer une tension, donner envie de tourner les pages. En général, j’ai une idée assez claire de la direction que je veux donner au récit, même si, rapidement, les personnages m’échappent et prennent leur propre existence en main. Parfois, c’est moi qui ne suis pas capable d’aller plus loin. Quand Arun est enlevé, il passe quelques jours sur le bateau-mère avant d’être transbordé sur le bateau où il sera réduit en esclavage. Après avoir décrit les humiliations subies sur le premier navire, je n’avais plus la force de continuer. J’étais incapable de tout décrire en détail. C’est pourquoi la forme du journal de bord s’est imposée à ce moment-là.
Qu’aimeriez-vous qu’on dise de votre roman ? Et avez-vous déjà le projet d’un prochain livre ?
Qu’il est utile. Que les lecteurs referment ce livre avec un regard différent sur les océans. Comme l’a écrit Sylvia Earle: «L’océan est l’écho de notre existence: immense et fragile à la fois. Sans lui, nous ne sommes rien. » Bien sûr, j’ai déjà le projet d’un nouveau livre. Je viens de dire adieu à tous ces personnages et je n’ai pas du tout l’intention de rester seul trop longtemps.